Et puis, n'ont-ils pas eu tous les deux, mutatis mutandis, bien du malheur ?...
Bacchus, Jan van Dalen (1600-1662)
Sauf erreur de ma part, voici le jour, Bacchus, où les
Poètes ont coutume de te célébrer
En portant joyeusement des couronnes odorantes,
De faire ton éloge à grand renfort de vin.
Tant que mon destin le permit, je me rappelle avoir
Souvent été des leurs sans que tu le réprouves,
Moi qu’aujourd’hui retient, sous la constellation de l’Ourse,
La Sarmatie, voisine des Gètes cruels,
Moi qui vivais, avant, loin de l’effort, dans la mollesse,
Adonné à l’étude et au culte des Muses. 10
Me voici loin de chez moi, dans un fracas d’armes gètes,
Après avoir beaucoup souffert sur mer, sur terre.
Dois-je cela au hasard ? A la colère des dieux ?
La Parque, à ma naissance, était-elle chagrine ?
Tu aurais pourtant dû avoir à coeur de soutenir
De ta puissance un pieux adorateur du lierre,
Sauf si ce qu’ont chanté les soeurs maîtresses du destin
Echappe en totalité au vouloir d’un dieu.
Tes mérites t’ont fait accéder au ciel, toi aussi,
Et la route y menant fut une longue épreuve : 20
Loin d’habiter ta patrie, tu parvins jusqu’au Strymon
Neigeux, à la Gétie, où l’on célèbre Mars,
En Perse, où le large Gange déploie son cours, ainsi
Qu’aux fleuves où l’Indien basané boit de l’eau.
Tel est, assurément, l’arrêt que les Parques, filant
Le destin, ont chanté deux fois au deux fois né.
Moi aussi, s’il est permis de se comparer aux dieux,
Je suis accablé d’un sort cruel et pénible.
Je suis tombé lourdement, tel celui qui blasphéma
Et que le feu de Jupiter chassa de Thèbes. 30
Pourtant, quand tu apprends que la foudre frappe un poète,
Tu pourrais compatir en pensant à ta mère
Et dire, en regardant les poètes qui te célèbrent :
« Lequel de mes adorateurs manque à l’appel ? »
Secours-moi, bon Liber ! et qu’en retour l’orme ploie sous
Les vignes, et que les grains regorgent de jus !
Que la troupe agile des satyreaux et les Bacchantes
T’accompagnent ; qu’ils crient ton nom dans leur délire !
Que soient maudits les os de Lycurgue à la double hache !
Que soit punie l’ombre de Penthée l’incrédule ! 40
Qu’au ciel brille à jamais la Couronne d’Ariane, et qu’elle
Eclipse de ses feux les astres alentour !
Viens ici, toi, si beau, et relève-moi de ma chute !
Rappelle-toi que je suis un de tes fidèles,
Et tente de fléchir, puisque les dieux entre eux commercent,
Par ta puissance la puissance de César.
Vous aussi, mes compagnons, pieuse troupe des poètes,
Formulez coupe en main cette même requête.
Puis, quand l’un d’entre vous aura dit le nom de Naso,
Qu’il y mêle ses pleurs et la lève en jetant 50
Ses regards alentour, et dise en mémoire de moi :
« Où est Naso, jadis membre de notre choeur ? »
Faites-le, si ma probité me vaut votre faveur,
Si je n’ai jamais fait de critique blessante,
Si, tout en montrant aux Anciens le respect qu’on leur doit,
Je ne les place pas au-dessus des Modernes.
Gagnez-y de composer avec l’aide d’Apollon ;
Entretenez mon nom – ce n’est pas défendu.
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