Fabia commencerait-elle à prendre ses distances ?...
Achille traînant le corps d'Hector
Déroulé du lécythe. Peintre de Diosphos. Athènes, vers 490 av. J.-C.
Grande et Petite Ourse, au sec toutes deux, vous qui guidez
Les bateaux grecs pour l’une et phéniciens pour l’autre,
Puisque vous voyez tout, du haut du pôle, sans jamais
Plonger dans les eaux de la mer occidentale,
Puisque vous parcourez votre orbite loin de la terre
Et que vous tournez sur les hauteurs de l’éther,
Veuillez regarder ces remparts que Rémus, fils d’Ilia,
Franchit, dit-on, jadis d’un bond, pour son malheur ;
Tournez votre visage étincelant vers mon épouse
Et dites-moi si elle pense encore à moi. 10
Ah ! Pourquoi m’inquiéter ? On sait ce qu’il en est. Pourquoi
Languir en hésitant entre crainte et espoir ?
Sans t’alarmer pour rien, crois ce qui est : c’est conforme à
Tes voeux. Fais confiance à ta femme fidèle.
Ce que ne peuvent dire les flammes fixées au pôle,
Dis-le-toi ; ce faisant, tu ne saurais mentir :
Celle dont tu te soucies plus que de tout pense à toi,
Conserve ton nom dans son coeur, le plus possible.
Elle te voit aussi bien que si tu étais présent,
Et, même loin de toi, si elle vit, elle t’aime. 20
Dis-moi : quand, malade, tu cèdes à ta juste douleur,
Le doux sommeil fuit-il ton coeur préoccupé ?
Es-tu soucieuse quand tu vois notre lit, quand tu vois
Ma place, et que mon souvenir s’impose à toi ?
Trouves-tu que la nuit n’en finit pas ? Es-tu fébrile ?
Fatiguée de t’être agitée ? Endolorie ?
Oui, c’est ce qui t’arrive, et plus encor, j’en suis certain :
Ton amour douloureux laisse percer sa peine,
Et ton supplice vaut celui d’Andromaque voyant
Le corps d’Hector emporté par le char d’Achille. 30
Mais que souhaiter ? Je ne sais pas, et je ne saurais dire
Quelles dispositions je voudrais que tu aies :
Tu es triste ? Je m’en veux de te causer du chagrin ;
Tu ne l’es pas ? Comme ta conduite est indigne !
Afflige-toi donc, ma très tendre épouse, de ma perte :
Que mes malheurs remplissent tes jours de tristesse ;
Et pleure sur mon sort, car les larmes ont leur douceur ;
En pleurant, on assouvit son chagrin, on l’évacue.
Ah ! que n’as-tu à déplorer non ma vie mais ma mort !
C’est elle qui aurait causé ta solitude. 40
J’aurais rendu mon dernier souffle à Rome, avec ton aide.
Tes pieuses larmes auraient arrosé mon corps ;
Le jour suprême, c’est toi qui m’aurais fermé les yeux
Alors qu’ils regardaient un ciel si familier ;
Ma cendre aurait reposé dans le tombeau de mes pères,
La terre où je naquis recueilli mon cadavre,
Ma mort, enfin, eût été comme ma vie : sans reproche.
Or, je vis aujourd’hui honteux de ma sanction.
Malheur à moi si tu rougis et si tu te détournes 50
Quand on dit que tu es l’épouse d’un banni.
Malheur, s’il te semble infamant de passer pour ma femme.
Malheur, si désormais tu rougis d’être mienne.
Où est le temps où tu étais fière de ton époux,
Où tu ne cachais pas le nom de ton mari,
Où tu trouvais plaisant, je m’en souviens, d’être appelée
Ma femme et de l’être – permets-moi ce rappel.
L’honnête épouse que tu étais aimait tout en moi
Et ton amour partial m’inventait des mérites.
Tu me préférais à tous et tu n’aurais pas voulu
D’un autre pour mari, tant tu m’appréciais. 60
N’aie pas honte, aujourd’hui encore, d’être mon épouse ;
Eprouves-en de la douleur, non de la honte.
Quand l’audacieux Capanée tomba soudain foudroyé,
Lis-tu qu’Evadné a rougi de son époux ?
Les siens n’ont pas jugé bon de renier Phaéton
Quand Jupiter arrêta son feu par ses feux.
Cadmos ne désavoua pas sa fille Sémélé,
Dont les souhaits ambitieux avaient causé la perte.
Que tes joues délicates ne rougissent pas de honte
Si Jupiter m’a frappé de ses feux cruels. 70
Redresse-toi plutôt pour prendre soin de me défendre,
Montre-moi que tu es une épouse exemplaire
Et accomplis vertueusement ton triste devoir.
Le chemin qui monte à la gloire est escarpé ;
Qui connaîtrait Hector si Troie avait été heureuse ?
Il paya sa valeur des malheurs de son peuple.
Ton art ne sert à rien, Tiphys, si la mer se repose,
Ni le tien, Apollon, si les hommes vont bien.
Dans le bonheur, la vertu paresse et n’apparaît pas ;
Elle se montre avec éclat dans le malheur. 80
Mon sort te donne l’occasion de t’illustrer, permet
A ta piété de se montrer la tête haute ;
Les circonstances jouent en ta faveur ; profites-en :
Il s’ouvre devant toi un grand champ de louanges.
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