Avec le temps, tout s'en va, ou presque. Que reste-t-il ?
Ceci...
Avec le temps, le taureau s’habitue à la charrue,
Offre son cou au joug recourbé qui lui pèse ;
Avec le temps, le cheval fougueux se soumet aux rênes,
Accepte sans broncher la dureté du mors ;
Avec le temps, la fureur du lion punique tombe,
Sa férocité de naguère disparaît ;
L’éléphant d’Asie suit les consignes de son cornac :
Avec le temps, il supporte son esclavage.
Le temps fait gonfler le raisin en grappes qui grossissent,
Et ses grains ont du mal à contenir leur jus ; 10
Le temps fait germer la semence en épis qui blondissent,
Veille à ce que les fruits perdent leur âpreté,
Rogne le soc de la charrue qui retourne la terre,
Use le dur silex, use le diamant,
Apaise peu à peu la colère, même furieuse,
Atténue le chagrin, dissipe la tristesse.
Le temps qui s’écoule d’un pas silencieux peut donc
Tout amoindrir à l’exception de mes soucis.
Depuis mon arrivée, on a battu deux fois les grains
Deux fois la grappe a éclaté sous le pied nu ; 20
Cela n’a pourtant pas suffi pour que je me résigne
Et j’ai le sentiment que mon mal est récent.
Même les vieux taureaux fuient souvent le joug, c’est certain,
Et le cheval dompté, souvent, résiste au mors.
Je souffre même aujourd’hui un tourment plus grand qu’hier ;
Bien qu’il n’ait pas changé, le temps l’a renforcé,
Et je n’en ai jamais eu si pleinement conscience :
Mieux le connaître me le rend plus accablant.
Ce n’est pas rien, non plus, que de fournir des forces fraîches
Et de ne pas céder d’avance aux maux présents. 30
Plus brave est le lutteur arrivant sur le sable fauve
Que celui dont les bras ont longtemps combattu,
Meilleur le gladiateur intact sous ses armes brillantes
Que celui dont le propre sang rougit les traits.
Un navire récent résiste bien aux ouragans ;
Le premier orage venu disloque un vieux.
Moi aussi, je supportais avant mieux que maintenant
Des maux que les jours, en passant, ont décuplés.
Oui, je suis à bout de force et, quand je vois mon état,
Je gage que je ne souffrirai plus longtemps. 40
J’ai perdu ma vigueur, j’ai perdu mes couleurs d’avant ;
Je n’ai quasiment plus que la peau et les os,
Mais mon esprit est plus malade que mon corps malade
Et contemple sans fin le mal qui le consume.
Rome est bien loin, bien loin sont mes amis, que j’aimais tant,
Mon épouse est bien loin, plus chère que nulle autre ;
J’ai près de moi des Scythes, des Gètes portant des braies :
Que ce soit de près ou de loin, tout me chagrine.
Dans mes malheurs, je n’ai qu’un espoir de consolation :
Que la mort mette vite un terme à tous mes maux. 50
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