lundi 20 avril 2020

Tristesses, IV, 4

Ovide écrit à un ami influent dont il espère l'intercession auprès d'Auguste. Pour se faire plaindre, il évoque la proximité de la Tauride, région connue pour les sacrifices humains qu'y pratiquait Iphigénie, devenue prêtresse de Diane.

Oreste et Pylade devant Iphigénie
                            

Le nom de tes ancêtres te confère une noblesse
     Que surpasse encor celle de ton caractère ;
L’éclat qu’avait ton père se reflète en ta personne
     Sans que ton propre éclat manque d’intensité ;
Ton père t’a transmis son talent d’orateur, talent
     Qui était sans égal sur le forum latin.
Pour ne pas citer ton nom, j’ai usé de trois indices
     Qui te désignent ; fais donc grâce à ton mérite
Et non à moi : tes qualités bien connues t’ont trahi ;
     Si tu parais ce que tu es, je n’y peux rien. 10
Je ne pense pourtant pas que l’hommage de mes vers
     Puisse te nuire, tant est juste notre prince.
Le père de la patrie accepte d’être souvent
     Mentionné dans mes vers : il est si bienveillant.
Il ne peut d’ailleurs l’empêcher, étant un bien commun
     Dont je peux, moi aussi, revendiquer ma part.
Jupiter confie sa grandeur au génie des poètes,
     Il autorise chaque bouche à le chanter.
Tu as donc la caution des deux dieux cités en exemple,
     De celui que l’on voit et de celui en qui 20
L’on croit. Si je suis dans mon tort, j’assumerai ma faute :
     Je t’ai écrit sans te demander ton avis.
Si d’ailleurs mon entretien te nuit, ce n’est pas nouveau :
     Nous nous entretenions souvent quand j’allais bien.
Crains d’autant moins qu’on ne te reproche mon amitié
     Que si quelqu’un doit être blâmé, c’est ton père :
Je lui fus toujours dévoué depuis mon plus jeune âge
     – C’est quelque chose que tu n’as pas à cacher –
Et il avait pour mon talent, tu t’en souviens peut-être,
     Plus d’estime que je n’en croyais mériter : 30
Dans ce qu’il disait de mes vers, on pouvait distinguer
     La part qui revenait à sa grande noblesse.
Si ta maison m’a accueilli, c’est donc que j’ai berné
     Non pas toi aujourd’hui mais, avant toi, ton père.
Mais non, crois-moi, je n’ai berné personne et défendrai
     Chacun des actes de ma vie – sauf le dernier.
Et tu ne verrais pas non plus un crime dans la faute
     Qui m’a perdu si tu en savais le détail.
Une erreur m’a fait du tort, ou la peur ; l’erreur, plutôt.
     Mais ne rappelons pas, s’il te plaît, mon destin. 40
Je ne toucherai pas mes plaies de peur de les rouvrir ;
     A peine le repos pourra-t-il les guérir.
Il est donc juste que je sois puni, comme il est vrai
     Qu’il n’entre ni calcul ni crime dans ma faute.
Notre dieu sait cela : il ne m’a pas ôté la vie
     Et mes biens ne sont pas passés à quelqu’un d’autre.
Qu’il vive et qu’une fois sa colère apaisée, un jour,
     Peut-être, il mette un terme à mon exil.
Pour aujourd’hui, de grâce, qu’il ordonne mon transfert
     S’il trouve dans mon voeu modestie et respect. 50
Je souhaite un lieu d’exil plus clément et un peu plus proche,
     Et qui soit plus distant de l’ennemi cruel.
Si grande est la clémence d’Auguste que, si quelqu’un
     Le demandait pour moi, il pourrait l’accorder.
Je suis pris par les glaces du Pont dit « Hospitalier »
     Et que jadis on nommait « Inhospitalier » :
Ses flots sont agités par des vents sans modération,
     Pas un port sûr n’attend les bateaux étrangers.
Certains peuples voisins tuant pour faire du butin,
     L’eau traîtresse n’est pas moins sûre que la terre. 60
Ceux dont tu sais qu’ils se délectent du sang des humains
     Vivent presque sous cette même latitude ;
La Tauride est près d’ici, où l’autel de la déesse
     Au carquois se repaît d’abominables meurtres.
Jadis, à ce qu’on dit, Thoas régnait sur ces contrées
     Estimées des impies, aux gens de bien odieuses.
C’est là qu’Iphigénie, reconnaissante pour la biche,
     Pratiqua tous les rites du culte de Diane.
Oreste y aborda – pieux ou scélérat, on ne sait –
     Chassé par ses Furies, avec son compagnon 70
Le phocidien, modèle du parfait ami, Pylade,
     – S’ils avaient bien deux corps, ils n’avaient qu’un esprit.
Aussitôt, on les mène enchaînés à ce triste autel
     Qui se dressait, sanglant, devant la double porte.
Aucun des deux, pourtant, voyant venir sa mort, n’eut peur :
     Chacun des deux s’affligeait de la mort de l’autre.
La prêtresse se tenait là, poignard en main, avec
     Ses cheveux grecs ceints d’un bandeau barbare,
Lorsqu’elle reconnut, dans la conversation, son frère,
     Et qu’elle l’embrassa au lieu de le tuer. 80
Avec joie, elle emporta la statue de la déesse,
     Qui détestait ces cruautés, en meilleurs lieux.
Cette région située au fin bout du monde, ou presque,
     Qu’hommes et dieux ont fuie, est donc proche d’ici.
Près de chez moi ont lieu des meurtres sacrificatoires,
     Si toutefois ce sol barbare est mon « chez moi ».
Puissent les vents qui ont poussé Oreste ramener
     Aussi ma voile, une fois le dieu apaisé.


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