Chimère d'Arezzo / bronze étrusque
J’ai revu deux fois le soleil après un froid hiver,
Deux fois, dans les Poissons, il a fini sa route.
De tout ce temps, pourquoi ta main n’a-t-elle pas pris soin
De m’écrire ne serait-ce que quelques vers ?
Pourquoi ton amitié s’est-elle relâchée quand d’autres
M’écrivaient, sans que je fusse intime avec eux ?
Pourquoi, chaque fois que je décachetais une lettre,
Avais-je l’espoir d’y trouver ta signature ?
Fassent les dieux que souvent tu m’aies écrit sans qu’aucun
De tes nombreux courriers ne me soit parvenu. 10
Il en est ainsi, j’en suis sûr, et j’aurais moins de mal
A croire à la Gorgone aux cheveux de serpents,
Aux chiens placés à l’aine de Scylla, à la Chimère
Mi-dragon, mi-lionne et ceinturée de flammes,
Aux chevaux dont le poitrail rejoint le poitrail d’un homme,
Et à l’homme aux trois corps, et au chien aux trois têtes,
A la Sphinge et aux Harpyes et aux Géants anguipèdes,
A Gyas aux cent bras, à l’homme mi-taureau,
Oui, j’aurais moins de mal, très cher, à croire à tout cela
Qu’à ta métamorphose en ami négligent. 20
Nous sommes séparés par bien des monts et des chemins,
Des fleuves et des mers nombreuses et des plaines.
Que sur tant de lettres parties, si peu soient arrivées
Entre mes mains s’explique par mille raisons ;
Triomphe de mille raisons en m’écrivant souvent
Et m’évitant, ami, de toujours t’excuser.
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