On se souvient des multiples citations de Sénèque qui émaillent les Essais de Montaigne. Mais on se doute peut-être moins de la fréquence avec laquelle Ovide y est mentionné, de l'importance que le penseur accorde au poète.
Pour nous le rappeler, rien ne vaut un retour aux sources. Je vous propose de le faire en compagnie de Jo Lavie, professeur de français à la retraite, qui a entrepris de transposer en français moderne des extraits des Essais. Merci à elle de m'avoir amicalement autorisé à reproduire ici ceux qui concernent Ovide.
Tome I, chapitre XXVI
Mon
premier amour pour les livres, je le dois au plaisir que j’eus à lire les Métamorphoses d’Ovide. Car aux environs
de sept ou huit ans, je renonçais à tout autre plaisir pour celui de les lire,
d’autant plus que cette langue était comme ma langue maternelle, que c’était le
livre le plus facile que je connusse, et le plus adapté à mon âge par son
contenu.
Car des Lancelots
du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaux, et tel fatras de
livres à quoi l’enfance s’amuse, je n’en connaissais pas seulement le nom.
Tome II, chapitre X
Parmi les livres simplement agréables, je trouve chez les modernes : le Décaméron de Boccace, Rabelais, et les Baisers de Jean Second (si on peut les mettre dans cette catégorie) méritent qu’on y consacre un peu de temps. Quant aux Amadis et aux écrits de ce genre, ils n’ont même pas eu de succès auprès de moi dans mon enfance. Je veux dire encore ceci, audacieusement ou témérairement : ma vieille âme un peu lourde ne se laisse plus volontiers chatouiller par les charmes non seulement de l’Arioste, mais même par ceux du brave Ovide ; sa facilité et ses inventions, qui m’ont ravi autrefois, c’est à peine si elles me parlent encore maintenant.
Parmi les livres simplement agréables, je trouve chez les modernes : le Décaméron de Boccace, Rabelais, et les Baisers de Jean Second (si on peut les mettre dans cette catégorie) méritent qu’on y consacre un peu de temps. Quant aux Amadis et aux écrits de ce genre, ils n’ont même pas eu de succès auprès de moi dans mon enfance. Je veux dire encore ceci, audacieusement ou témérairement : ma vieille âme un peu lourde ne se laisse plus volontiers chatouiller par les charmes non seulement de l’Arioste, mais même par ceux du brave Ovide ; sa facilité et ses inventions, qui m’ont ravi autrefois, c’est à peine si elles me parlent encore maintenant.
Tome II,
chapitre XII
Remarquons d’ailleurs que nous sommes le seul animal
dont la nudité offense ses semblables, et le seul qui doit se cacher de ceux de
son espèce pour satisfaire ses besoins naturels. C’est aussi un aspect digne de
considération que ceux qui sont les maîtres en la matière prescrivent comme
remède aux passions amoureuses la vue entière et libre du corps convoité, et
prétendent que pour refroidir l’affection, il n’est besoin que de voir
librement ce que l’on aime :
Qui découvre au grand jour les secrètes
parties du corps de l’être aimé,
sent sa passion s’éteindre au milieu
des transports.
Ovide, Remèdes à l'amour, 429
***
On raconte aussi l’histoire d’un dragon amoureux d’une
fille, celle d’une oie éprise d’un enfant, dans la ville d’Asope, et d’un
bélier faisant sa cour à la musicienne Glaucia. Et l’on voit couramment des
singes furieusement épris d’amour pour des femmes, et l’on voit aussi certains
animaux mâles s’adonner à l’amour de leurs congénères du même sexe.
Quelques exemples montrent le respect que les animaux
attachent à la parenté lors de leurs mariages, mais l’expérience nous montre
bien souvent le contraire :
La génisse n’a pas honte de se livrer à
son père,
Et la pouliche au cheval dont elle est
née ;
Le bouc s’unit aux chèvres qu’il a
engendrées,
Et l’oiselle à l’oiseau qui lui donna
le jour.
Ovide, Métamorphoses, X, 325
***
Et que dire de l’intelligence de Pygmalion, si troublé
par la vue de sa statue d’ivoire qu’il l’aime et la courtise comme si elle
était vivante !
Il la couvre de baisers et croit
qu’elle y répond ; il la saisit, l’embrasse, il croit sentir
son corps fléchir sous ses
doigts ; il craint, en la pressant, de laisser une empreinte livide.
Ovide, Métamorphoses,
X, 243-245
Tome III, chapitre IV
Atalante, jeune fille d’une beauté extrême et d’une
étonnante agilité, fit savoir à la foule des soupirants qui la demandaient en
mariage qu’elle accepterait celui qui l’égalerait à la course, mais à la
condition que ceux qui n’y parviendraient pas en perdraient la vie, et plus
d’un estimèrent que le prix valait la peine de courir le risque de ce cruel
marché. Hippomène, ayant à faire son essai à son tour, s’adressa à la déesse
patronne de cette amoureuse ardeur, l’appelant à son secours ; celle-ci,
exauçant sa prière, le munit de trois pommes d’or, et lui enseigna comment s’en
servir. Le départ de la course une fois donné, quand Hippomène sentit sa
maîtresse sur ses talons, il laissa échapper, comme par inadvertance, une des
pommes, et elle, captivée par la beauté de l’objet, ne manqua pas de se
détourner pour la ramasser :
La fille est saisie d’étonnement, et
conquise par le fruit brillant,
Se détourne de sa course, et ramasse
cet or qui roule.
Ovide, Métamorphoses,
X, 666-667
Il en fit autant, au bon moment, avec la deuxième et
la troisième, jusqu’au moment où, grâce à cette ruse et cette diversion,
l’avantage de la course lui fut acquis.
Tome III, chapitre V
Lucullus, César, Pompée, Antoine, Caton et d’autres
grands hommes ont été cocus et l’apprirent sans que cela fasse grand bruit. Il
n’y eut en ce temps-là que ce sot de Lépide qui en mourut d’angoisse. Et le
dieu de Virgile [Vulcain], quand il surprit sa femme avec l’un de ses
compagnons [le dieu Mars], se contenta de leur faire honte,
Et l’un des dieux, et non des plus
austères, aimerait encourir un pareil déshonneur.
Ovide, Métamorphoses,
IV, 187-188
Tome III, chapitre
XIII
Jeune, je me suis prêté autant licencieusement et
inconsidérément qu’un autre au désir qui me saisissait.
Et j’ai combattu non sans gloire
Horace, Odes, III, 26, 2
mais plus toutefois, en durée et en constance qu’en
saillie [exploits] :
Je me souviens à peine d’y être allé
six fois
Ovide, Amours,
III, 7, 26.
a
[Allusion aux rapports sexuels dont Christophe Bardyn dit
qu’ils étaient brefs pour Montaigne en raison de la petite taille de son sexe.
« Six fois », c’est quand même un exploit ! ]
Certes, il m’est pénible, mais extraordinaire aussi,
de confesser combien j’étais jeune quand je me suis trouvé pour la première
fois soumis à Cupidon ! Ce fut vraiment par hasard, car c’était bien avant
d’avoir l’âge de savoir ces choses et d’être capable de choisir. Les souvenirs
que j’ai de moi-même ne remontent guère aussi loin... [Selon certains, il
insinuerait avoir été caressé et masturbé par sa nourrice.] Et l’on peut joindre
mon sort à celui de Quartilla qui ne se souvenait pas d’avoir été vierge.
N. B. : Les passages entre crochets droits sont des ajouts de Jo Lavie.
N. B. : Les passages entre crochets droits sont des ajouts de Jo Lavie.
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