mardi 27 février 2018

Il n'est bon bec que de Paris.

Le Centre Pompidou propose jusqu'au 26 mars une rétrospective César que je vous recommande vivement (https://www.centrepompidou.fr/).
Vous y trouverez évidemment ses pièces les plus emblématiques, en particulier ses Compressions, mais aussi d'autres oeuvres, moins connues, et qui ont attiré mon attention pour leur dimension mythologique - que César ne revendiquait d'ailleurs pas...
Voici, pour commencer, une chauve-souris de 1954, en fer forgé et soudé :


 puis une autre de 1955, en fer soudé :


 Ne nous renvoient-elles pas immanquablement à la fable des fille de Mynias, qui préféraient rester chez elles à filer la laine plutôt que de célébrer le culte de Bacchus ?

"Elles méprisent Bacchus, et profanent sa fête. Tout à coup les tambours et les flûtes recourbées, à l'airain retentissant, mêlent leur bruit confus. L'air est embaumé de myrrhe et de parfums. Les filles de Minyas voient verdir leurs toiles; le lierre y serpente; la vigne y pend en festons. En longs ceps s'arrondit la laine qui charge leurs fuseaux. Le pampre s'ourdit à leurs trames; et de la pourpre dont brillaient les tissus, soudain les grappes se colorent. Déjà le soleil était descendu dans le vaste sein des mers. C'était l'heure où règne une clarté douteuse entre la lumière et les ombres; l'heure où n'étant plus jour, il n'est pas encore nuit. Soudain le toit s'ébranle; on voit briller des torches ardentes; des lueurs effrayantes s'attachent aux lambris, et des tigres, simulacres horribles, hurlent parmi les feux. Tandis que, saisies de terreur, les Minéides, fuyant la lumière et les flammes, se sauvent en divers lieux, dans l'ombre et la fumée, une membrane déliée s'étend sur leurs corps rétrécis; des ailes légères enveloppent leurs bras. L'obscurité ne leur permet pas de voir comment elles ont subi ce changement. Sans le secours d'aucun plumage, elles s'élèvent dans l'air; elles sont soutenues par des ailes d'un tissu transparent. Elles veulent se plaindre, et leur voix n'est plus qu'un cri faible qui part d'un faible corps, un murmure aigu, seul langage permis à leurs regrets. Elles n'habitent point les forêts, mais les toits des maisons. Ennemies du jour, elles ne paraissent que la nuit; elles volent le soir, et, compagnes de Vesper, on les nomme Vespérides."
Métamorphoses, IV, 389-415 (trad. H. Nisard).

Vous trouverez aussi un Centaure :

Voici ce que le cartel m'en a appris : "En 1983, pour l'exposition du Musée Picasso d'Antibes commémorant le dixième anniversaire de la mort de Picasso, César réalise un Centaure en plâtre pour lequel il fait un moulage de sa propre tête. Le centaure est un des grands thèmes de la statuaire classique et des grands monuments équestres qu'il se souvient avoir étudiés à l'école des beaux-arts. César qui considérait Picasso comme un "Centaure sur deux pattes" déclinera ce plâtre en divers matériaux et dimensions jusqu'à son monumental Hommage à Picasso."

Et si vous passez au musée d'Art moderne de la Ville de Paris (http://www.mam.paris.fr/), vous pourrez apprécier le nouveau parcours qui est proposé dans les collections permanentes et vous ne pourrez pas ne pas tomber nez à nez avec l'Orphée en orme d'Ossip Zadkine (1930) :


N'hésitez pas non plus à vous attarder dans la très belle exposition de Jean Fautrier, malheureusement dépourvue de la moindre inspiration métamorphique - au sens ovidien du terme, bien sûr. Car, pour le reste, tout artiste est un métamorphoseur, n'est-ce pas ?...



jeudi 22 février 2018

Dans l’atelier du traducteur



Je vous propose aujourd’hui de vous faire visiter mon atelier, c'est-à-dire de vous montrer par quelles étapes je suis parvenu de l’original latin à la traduction des éditions Sables. Faisons-le sur quelques vers des Tristesses, ceux, par exemple, de l’épitaphe d’Ovide (III, 3, 73-76).


Les voici en latin et en traduction littérale :


Moi qui gis ici, lusor des tendres amours,
j’ai péri par mon génie, le poète Nason ;
mais pour toi qui passes devant, qu’il ne soit pas pesant, qui que tu sois qui as aimé,
de dire : « Que les os de Nason soient étendus mollement ».

La formule initiale : hic ego qui jaceo… est l’équivalent latin de la formule gravée sur nos tombes « Ci-gît », à ceci près que l’une est à la première personne, l’autre à la troisième – rien de grave à cela –, et que l’une plus longue que l’autre. Mais pour une fois que le français est plus concis que le latin, on ne va pas s’en plaindre…
Sur nos tombes, la formule est immédiatement suivie du nom du défunt. Faisons-le donc remonter d’un vers.
Mais justement… Faut-il dire Nason, comme on le fait pour Cicéron (dont le nom, en latin, est Cicero) ou Naso ? J’opte pour Naso parce que ce nom est en réalité un surnom signifiant « nez » et attribué à Ovide du fait que son appendice devait être plus gros ou plus long que la moyenne. Or Naso a, dans ce contexte, l’avantage de renvoyer à « naseau », synonyme plaisant de « nez ». Un traducteur audacieux pourrait aller jusqu’à traduire par « Ci-gît Le pif », « Le tarin », « Le blaze »…

Après le nom, l’identité : tenerorum lusor amorum. Il ne faut pas rater son coup : c’est par cette périphrase, reprise au livre IV (10, 1) qu’Ovide se définit pour l’éternité.
Les mots tenerorum amorum ne sont pas problématiques : ils se traduiront tout simplement par « des tendres amours » ou « des amours tendres », selon l’humeur ou l’oreille. Le problème, c’est lusor.
Voici ce qu’en dit Gaffiot : « lusor, oris, m (ludo) : 1/ joueur : Ov. A.A. 1, 451 ; Sén. Ben. 2, 17, 3 // pantomime : CIL 5. 2877 2/ [fig.] écrivain folâtre : Ov. Tr. 4, 10, 1 // celui qui se joue de qqn, moqueur : Pl. Amp. 694. ».
Essayons : « Le joueur des tendres amours »…
Non.
« Le pantomime des tendres amours »…
Non.
« L’écrivain folâtre des tendres amours »…
Trois fois non, même si Gaffiot renvoie explicitement à notre passage !
Nous pouvons toutefois retenir trois choses de l’article du dictionnaire : 1/ lusor est de la même famille étymologique que ludo, jouer ; 2/ lusor n’appartient pas au champ lexical de la parole ; 3/ le mot « pantomime » mérite d’être examiné de plus près. Consultons donc le dictionnaire des synonymes (CNRTL), plus utile au traducteur que le dictionnaire lexical ; il propose « histrion », « bouffon », « pitre », « farceur », « clown », « cabotin », « turlupin », « bateleur », « plaisant », « baladin ». Ce dernier mot ne me déplairait pas du fait de sa sonorité. Cherchons-en les sens (CNRTL) : « Vx. Danseur de théâtre ambulant. P. ext. Saltimbanque, bouffon, comédien ambulant ». Il est bien question de danse et de bouffonnerie, ce qui correspond au champ sémantique de ludo. Je ne suis pas loin de me laisser tenter. Mais ne cédons pas à la tentation sans consulter les collègues.
- « chantre des tendres amours » écrit Jacques André (Collection des Universités de France, 1968). Il semble traduire par anticipation le mot poeta du vers suivant mais sûrement pas lusor, et il le traduit par un mot qui fleure l’académisme ou la sacristie, comme on veut. Manifestement, le souffle de mai ne s’était pas encore levé…
- « chantre moqueur des amours tendres » écrit Danièle Robert (Actes Sud, 2006). Elle corrige la lacune de Jacques André en ajoutant « moqueur », mais maintient « chantre », qui ne me va pas davantage. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il lui aille beaucoup plus qu’à moi, puisqu’elle y renonce en IV, 1, où elle traduit tenerorum lusor amorum par « baladin de l’érotisme ». Je retiens qu’elle opte finalement pour « baladin » – sans comprendre ce que vient faire l’érotisme.
- « poète des amours tendres » écrit Marie Darrieussecq (P.O.L., 2006). Même remarque que pour Jacques André, à ceci près que Marie préfère « poète » à « chantre ». On ne peut pas lui donner tort…
Je retiens donc « baladin » et compte sur mes doigts : « Ci-gît Naso, baladin des tendres amours… » Douze syllabes. Il en manque deux pour aller à quatorze.
Poeta n’est pas loin ; je le fais remonter du vers suivant, un peu cavalièrement, je l’avoue, pour boucler le vers : « Ci-gît Naso, baladin des tendres amours, poète… » : 4+8+2 = 14. Le compte est bon !

ingenio perii… meo : « j’ai péri par mon génie / talent ». Le mot ingenium apparaît à de nombreuses reprises dans les Tristesses et se traduit par talent, génie ou inspiration. Selon l’inspiration…
Quant au déterminant possessif, il changera de personne par la force des choses…

            « Son génie l’a perdu… »

At tibi qui transis… Que la relative ne m’en veuille pas de la transformer en participe présent substantivé : « passant », qui dit bien ce qu’il veut dire et le dit avec concision.

La formule ne grave sit… dicere… est facile à comprendre : « qu’il ne soit pas lourd de dire, qu’il ne te pèse pas de dire… ».
On se souvient de Didon écrivant à Enée (Héroïdes, VII, 8) perdere verba leve est : « perdre mes paroles (c'est-à-dire parler pour rien) m’est léger ».
Si le passant est invité à ne pas trouver pesant de dire quelque chose, il est donc invité à le faire sans hésiter. Et comme ce qu’il est invité à dire est un vœu, nous traduirons dicere par « demander » : « passant, n’hésite pas à demander… »

quisquis amasti… : Voilà qui est bien latin et fort peu français. Traduisons en deux temps : quisquis deviendra « qui que tu sois », littéralement irréprochable, et amasti « si tu as aimé », formule qui fait comprendre à sa manière qu’Ovide n’acceptera pas les prières de tout le monde : seulement celles de ses frères – et sœurs – en amour...

Deuxième bilan d’étape :

« Son génie l’a perdu mais, si tu as aimé,
Qui que tu sois, passant, n’hésite pas à demander… »

Voici la chute : "Nasonis molliter ossa cubent". Tâchons d’éviter qu’elle ne soit fatale !
« Que les os de Naso… »
C’est mal parti…
« Les cendres de Naso… » fait mieux sans faire contresens. Tant pis pour les os : j’adopte…
 « … reposent mollement ! » ou « reposent doucement ! ». La traduction est littéralement irréprochable et fait très exactement six syllabes, ce dont nous avions justement besoin.
Mais ça ne veut rien dire, ce qui est rédhibitoire en matière de traduction ! Il faut donc essayer autre chose…
Et si nous transformions le verbe en substantif et l’adverbe en adjectif, tour de passe-passe bien connu mais toujours efficace ?
« … que le repos soit doux aux cendres de Naso ».

On s’assure qu’il y a le bon nombre de syllabes : 14/12/14/12.
Le compte est bon !
Aurions-nous terminé ?...
Voici :

« Ci-gît Naso, baladin des tendres amours, poète.
            Son génie l’a perdu mais, si tu as aimé,
Qui que tu sois, passant, n’hésite pas à demander
            Que le repos soit doux aux cendres de Naso. »



jeudi 15 février 2018

Les Tristesses à Ombres Blanches

J'ai eu le plaisir de retrouver beaucoup d'amis d'Ovide lors de la rencontre de mardi dernier à la librairie Ombres Blanches. Je les remercie pour leur présence et pour les ondes positives qu'ils ont émises. J'espère que les mânes de Naso y ont aussi été sensibles...
Et pour ceux qui n'ont pas pu se joindre à nous, voici une vidéo que je dois à mon ami Joël Arpaillange. Un grand merci à lui...
Bon visionnage !

mardi 13 février 2018

Un an déjà !...



C’est donc très précisément aujourd’hui, chers amis d’Ovide, que nous fêtons le premier anniversaire du blog. Eh oui ! Le lundi 13 février 2017, je publiais un article intitulé « On se lance ? »...
Depuis, 2268 personnes ont visité le blog, originaires des cinq continents et de pays aussi divers – et inattendus – que le Zimbabwe, les Iles Solomon, la Malaisie, la Corée du Sud, les Emirats Arabes Unis…
La palme revient – on pouvait s’en douter – à la France (1738 visiteurs), suivie par les Etats-Unis (118), la Belgique (80), la Suisse (60), le Canada (41) l’Italie (29)...
Vous me permettrez d’accorder une mention spéciale à la Roumanie, pays francophile et assez francophone pour que 7 de ses ressortissants fassent partie de nos fidèles lecteurs.
En guise de cadeau d’anniversaire, la librairie Ombres Blanches a consacré sa rencontre d’aujourd’hui à la traduction des Tristesses que je viens de publier aux éditions Sables (http://www.sableseditions.fr/livres/tristesses-ovide.html). Hasard du calendrier ou signe des dieux ? Je vous laisse décider… Merci, en tout cas, à Ombres Blanches (https://www.ombres-blanches.fr/) !
Et merci à vous tous qui, de temps en temps, allez faire un tour sur le blog, y passez quelques minutes et en repartez après vous être, je l’espère, rafraîchi l’esprit au contact de l’actualité ovidienne. Certains d’entre vous m’écrivent, et je les remercie vivement pour leurs encouragements et pour les informations qu’ils me donnent. D’autres laissent un « like » sur Facebook. Mais, quoi que vous fassiez, je sais que vous êtes là, et c’est le lien ténu de votre présence discrète qui m’incite à envoyer mes bouteilles à la mer, avec la certitude que toutes ne se perdront pas…
Continuons donc ensemble et, ce soir, tel ce passant qu’Ovide apostrophe dans son épitaphe, lisons ces quelques vers en son honneur :

« Ci-gît Naso, baladin des tendres amours, poète.
 Son génie l’a perdu mais, si tu as aimé,
Qui que tu sois, passant, n’hésite pas à demander
            Que le repos soit doux aux cendres de Naso. »