lundi 6 avril 2020

Tristesses, III, 4

Ovide donne un conseil au destinataire de son élégie : "Pour vivre heureux, vivons cachés".
A méditer...

Jacob Peter Gowi (1615-1661), La Chute d'Icare
                             

Tu m’avais toujours été cher, mais c’est l’adversité,
     C’est ma ruine qui m’ont appris qui tu étais.
Si tu veux en croire un ami qui sait de quoi il parle,
     Vis pour toi et tiens-toi loin des noms prestigieux,
Vis pour toi en évitant de ton mieux tout ce qui brille :
     Il brille tant le foyer de l’éclair cruel…
Mieux vaut, même si les puissants peuvent seuls être utiles,
     Se passer du puissant qui peut causer du tort.
Une antenne assez basse échappe aux tempêtes d’hiver,
     La grande voile risque plus que la petite. 10
Tu vois comme sur l’eau se balance un flotteur de liège
     Alors qu’un poids fait plonger le filet qu’il leste.
Si quelqu’un m’avait donné les conseils que je te donne,
     Peut-être vivrais-je encore où je le devrais.
Tant que j’ai vécu avec toi, qu’une brise légère
     Me portait, ma barque a vogué sur des eaux calmes.
Qui tombe en terrain plat – chose, en soi, d’ailleurs peu fréquente –
     Se relève de terre après être tombé ;
Mais le pauvre Elpénor, qui avait chu du haut d’un toit,
     Se présenta ombre frêle devant Ulysse. 20
Pourquoi Dédale agitait-il ses ailes sans danger
     Quand Icare donnait son nom à une mer ?
C’est que l’un volait haut et que l’autre volait plus bas
     – Aucun des deux n’ayant des ailes naturelles.
Crois-moi : pour vivre heureux, vivons cachés, et que chacun
     Se tienne au rang que la fortune lui assigne.
Eumède n’aurait pas perdu son fils si l’insensé
     Ne s’était pas entiché des chevaux d’Achille.
Mérops n’aurait pas vu fils en flamme et filles en arbre
     S’il avait reconnu Phaéton pour son fils. 30
Toi aussi, redoute toujours l’excès d’élévation ;
     Tes projets, s’il te plaît, serres-en bien les voiles :
Tu es digne de parcourir la vie sans trébucher
     Et de connaître un sort plus brillant que le mien.
Les voeux que j’émets pour toi, tu les dois à ta bonté
     Et à ton indéfectible fidélité.
Je t’ai vu t’affliger sur mon destin avec un air
     Qu’on aurait aussi bien pu voir sur mon visage,
Et j’ai vu tes larmes tomber sur mon visage ; je les
     Ai bues tout en buvant tes paroles fidèles.
Tu défends toujours ardemment ton ami en exil,
     Et consoles des maux à peine consolables.
Vis sans envie, laisse le temps s’écouler doucement,
     Fuis la gloire et fais-toi des amis de ton rang,
Aime le nom du cher Naso, seul à ne pas encore
     Etre banni ; car le Pont scythe a tout le reste.

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