mercredi 1 avril 2020

Tristesses, I, 11

Eh oui ! Nous atteignons ce soir la dernière élégie du livre I des Tristesses...
Mais ne craignez rien : les Tristesses en comportent cinq... De quoi lire pendant encore des semaines, voire des mois de confinement...


                             

J’ai rédigé les lettres du recueil que tu as lu
     En voyageant dans des conditions difficiles :
Ou bien j’étais au milieu des eaux de l’Adriatique
     Et j’écrivais, tremblant, dans le froid de décembre,
Ou bien j’avais franchi l’isthme séparant les deux mers,
     Et un second bateau m’emportait en exil.
Les Cyclades ont dû rester stupides que j’écrive
     Entouré par des flots grondant avec fureur.
Et je n’en reviens pas que mon génie ait réchappé
     Des tourments de la mer joints à ceux mon âme.
Appelons cette passion folie ou stupidité,
     Le souci de rimer m’a ôté tout souci.
Souvent, j’étais ballotté par l’orage des Chevreaux
     Et souvent Stéropé faisait gronder la mer ;
Le gardien de l’Ourse atlantide obscurcissait le jour
     Ou l’Auster déversait toute l’eau des Hyades.
Souvent la mer entrait à l’intérieur ; moi, j’écrivais    
     Des vers, bons ou mauvais, d’une main qui tremblait.
L’Aquilon fait encore, en ce moment, siffler les câbles
     Tendus et l’eau s’amasse en un creux promontoire.
Le pilote lui-même, bras au ciel, appelle à l’aide
     Et fait des voeux : il a oublié sa science.
Autour de moi, je ne vois que l’image de la mort ;
     Indécis, je l’appelle et la crains à la fois.
Atteindrai-je le port, que ce port me terrifiera ;
     La terre m’effraie plus que cette mer hostile :
L’homme, comme la mer, me fait redouter ses traîtrises,
     La crainte de l’épée double celle de l’eau :
J’ai peur que l’une n’espère faire butin de mon sang,
     Que l’autre de ma mort n’ambitionne la gloire.
Terre barbare à bâbord, avide de brigandage ;
     Le sang y coule, on y massacre, on y guerroie
Et, bien que les tempêtes de l’hiver secouent la mer,
     Mon coeur est plus troublé que la mer elle-même.
Raison de plus, impartial lecteur, pour être indulgent
     Avec mes vers s’ils t’ont déçu – et c’est le cas :
Je ne les écris pas, comme autrefois, dans mes jardins
     Ni ne suis allongé sur toi, cher petit lit,
Mais balloté, l’hiver, sur d’indomptables profondeurs,
     Avec de sombres eaux qui fouettent mon papier.
Je subis les assauts du gros temps, plein d’indignation
     Que j’ose écrire quand il rugit ses menaces.
Qu’il ait raison de moi, mais qu’à l’instant où je mets fin
     A mon poème, il prenne fin, s’il le veut bien.

N'oublions pas : la petite friandise du jour...
Elle m'est fournie par Hélène et par Louise, deux amies d'Ovide...
Je vous laisse apprécier...


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