mardi 7 avril 2020

Tristesses, III, 5

Beaucoup de ses amis abandonnèrent Ovide quand une sentence d'exil le frappa, y compris de vieux amis. Mais il en est un qui, au contraire, sans être un ami de longue date, l'accompagna autant qu'il le put. Vous avez hâte de faire sa connaissance ? Voici...


Priam supplie Achille de lui rendre le corps d'Hector
Hiéron (potier) et peintre de Brygos /
Skyphos attique à figures rouges / 490-485 av. J.-C. / Vienne
                             

Nous n’étions pas liés l’un à l’autre depuis longtemps ;
     Tu as donc pu cacher notre amitié sans peine.
Aurais-tu d’ailleurs resserré ces liens si d’aventure
     Ma barque avait été poussée par un bon vent ?
Lorsque je m’écroulai, que tous s’enfuirent en craignant
     Ma ruine et tournèrent le dos à leur ami,
Tu as osé toucher un corps qu’avait frappé la foudre,
     Franchir le seuil d’une maison désespérée.
Deux ou trois vieux amis, pas plus, font pour le malheureux
     Ce que tu fais, toi que j’ai si peu fréquenté. 10
J’ai vu – j’en fus marqué – ton visage décomposé,
     Je l’ai vu tout en pleurs, plus pâle que le mien,
Et en voyant couler à chacun de tes mots des larmes,
     J’ai bu avidement tes larmes et tes mots.
Tu m’as serré dans tes bras, tu t’es pendu à mon cou
     Et tu m’as embrassé en poussant des sanglots.
Tu as aussi tout fait pour me défendre en mon absence,
     Cher – tu sais que ce « cher » remplace ton vrai nom –
Et je garde en mon coeur bien d’autres marques d’intérêt
     Manifestes et qui ne sauraient s’effacer. 20
Fassent les dieux que toujours tu puisses aider les tiens,
     Les défendre – en des circonstances plus heureuses !
Cependant, si tu veux savoir, comme cela se peut,
     Ce que je fais, perdu sur ces rives, voici :
J’entretiens le maigre espoir – et ne me l’enlève pas –
     Qu’un dieu revienne sur ses tristes volontés.
Que je m’aveugle sur mon voeu ou qu’il soit accessible,
     Prouve-moi, je t’en prie, qu’il est bien accessible
Et emploie toute l’éloquence dont tu es capable
     A établir qu’il peut trouver satisfaction. 30
Plus on est grand, plus on peut renoncer à sa colère ;
     Quand on est généreux, on n’est pas inflexible.
Terrasser l’ennemi suffit au lion magnanime,
     Et le combat prend fin quand il gît sur le sol.
Par contre, l’ours abject, le loup et tous les animaux
     Moins nobles vont s’acharner sur celui qui meurt.
Y a-t-il plus grand devant Troie que le courageux Achille ?
     Il ne supporta pas les pleurs du vieux Priam.
Les funérailles de Darius et le cas de Porus
     Apprennent à quel point fut clément Alexandre. 40
Et l’homme n’est pas le seul qui réfrène sa colère :
     Junon a pour beau-fils un ancien ennemi.
Pour finir, je ne peux quitter tout espoir de salut
     Puisque je ne suis pas puni pour homicide.
Et je n’ai pas visé, en cherchant à tout renverser,
     La tête de César – c’est la tête du monde.
Je n’ai ni trop parlé, ni proféré des vantardises,
     Ni trop bu et lâché des paroles impies ;
Je suis puni pour avoir vu, sans le vouloir, un crime ;
     Ce dont je suis coupable est d’avoir eu des yeux. 50
Je ne peux certes pas totalement me disculper,
     Mais mon crime, en partie, consiste en une erreur.
Je garde donc espoir que lui-même puisse adoucir
     Ma peine en déplaçant son lieu d’exécution ;
Blanc Lucifer, annonciateur de l’éclatant Soleil,
     Viens à bride abattue m’apporter ce jour-là !

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