lundi 13 avril 2020

Tristesses, III, 11

J'aurai donc, chers amis, le plaisir de vous retrouver quotidiennement pendant encore un mois. Vingt-huit jours, exactement, jusqu'au 11 mai. Voilà qui nous conduira à la quatorzième élégie du livre V.
Mais, ô surprise incommensurable, l'élégie V, 14 est aussi LA DERNIERE DU RECUEIL ! N'est-ce pas le signe indubitable que le confinement se terminera bien le 11 mai ? Que nous n'aurons pas droit à une rallonge ? Personnellement, j'en suis tout à fait certain...

Pour ce soir, écoutons la colère d'Ovide contre un ennemi qui l'accable...

 Le taureau de Phalaris
                             

Si tu es homme à insulter à mes malheurs, vaurien,
     A m’accuser sans y mettre un terme, assassin,
Tu es donc né d’un roc, tu as tété le lait d’un fauve
     Et ton coeur est un coeur de pierre, je l’affirme.
Est-il encore un degré accessible à ta colère ?
     Connais-tu un malheur que je n’éprouve pas ?
Terre barbare et côte inhospitalière du Pont
     Et Grande Ourse, avec son Borée, qui me regardent.
Pas un mot à échanger avec un peuple sauvage ;
     On a partout des raisons de trembler de crainte. 10
Comme a peur le cerf fuyard surpris par les ours voraces
     Ou l’agnelle cernée par les loups des montagnes,
Je crains aussi l’ennemi pressant – peu s’en faut – mon flanc,
     Entouré de partout par des peuples guerriers.
A supposer qu’être privé d’une épouse chérie,
     De sa patrie, de ses amis soit peu de chose,
Que ma seule souffrance soit la colère d’Auguste
     Et rien de plus, n’est-ce pas bien assez souffrir ?
Il est pourtant quelqu’un qui ravive ma plaie saignante
     Et s’en prend avec éloquence à ma conduite. 20
Chacun peut être éloquent dans une cause facile ;
     Il suffit de bien peu pour abattre une ruine.
Renverser bastions et remparts demande du courage ;
     Un lâche peut marcher sur ce qui gît à terre.
Je ne suis plus moi-même ; pourquoi fouler une ombre vaine,
     Jeter la pierre à mes cendres, à mon bûcher ?
Hector était Hector quand il livrait bataille ; traîné
     Par les chevaux d’Achille, il n’était plus Hector.
Pense que, moi non plus, je ne suis plus celui que tu
     Connus jadis : il ne reste de lui qu’un spectre. 30
Pourquoi l’assailles-tu farouchement de mots amers ?
     Renonce, je t’en prie, à tourmenter mes mânes.
A supposer que ce dont tu m’accuses soit fondé,
     Que tout relève du crime et non de l’erreur,
Eh bien ! sois satisfait, car je suis lourdement puni :
     Banni et exilé, et exilé ici.
Un bourreau trouverait que mon sort mérite des larmes ;
     Pour un juge, pourtant, je suis trop bien loti.
Sont moins cruels que toi l’affreux Busiris et celui
     Qui fit rougir à petit feu un boeuf de bronze 40
Et celui qui, dit-on, l’offrit au tyran de Sicile
     En faisant valoir en ces termes son chef-d’oeuvre :
« Ce présent, majesté, est plus utile qu’il ne semble,
     Et sa beauté n’est pas seule digne d’éloge.
Vois-tu que le flanc droit du taureau comporte une trappe ?
     Tu pourras y jeter celui que tu veux perdre.
Dès qu’il sera dedans, fais-le brûler à petit feu ;
     Il mugira et tu entendras un vrai boeuf.
Faisons, veux-tu, donnant-donnant et, pour cette invention,
     Accorde à mon talent sa juste récompense. » 50
Il se tut ; Phalaris répond : « Admirable inventeur
     De ce supplice, étrenne toi-même ton oeuvre ! »
Aussitôt, comme indiqué, un feu cruel le consume
     Et deux gémissements s’échappent de sa bouche.
Qu’ai-je à voir avec la Sicile, entre Scythes et Gètes ?
     Revenons-en à ce monsieur dont je me plains.
Etanche donc ta soif à notre sang, donne à ton coeur
     Avide autant de joies que tu le veux :
Mon exil m’a valu tant de maux sur terre et sur mer
     Que même toi serais peiné à leur récit. 60
Crois-moi : si l’on me compare à Ulysse, la colère
     De Jupiter dépasse celle de Neptune.
Qui que tu sois, ne relance donc pas l’accusation ;
     Enlève cette main de ma profonde plaie,
Et pour que ma réputation de coupable s’efface,
     Laisse à mes actes le temps de cicatriser.
Rappelle-toi que la fortune élève les humains
     Puis les abaisse et, toi-même, crains ses revers.
Et puisque tu te préoccupes tant de mes affaires,
     – Jamais je n’aurais cru que cela fût possible – 70
Je vais te rassurer : mon sort est exécrable ;
     La colère d’Auguste a les maux pour cortège.
Tu crois que j’affabule et veux en avoir le coeur net ?
     Fais donc toi-même l’expérience de ma peine.





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