vendredi 24 avril 2020

Tristesses, IV, 8

Ovide espérait passer une vieillesse heureuse, à Rome, auprès des siens ; les destins en ont décidé autrement : le voici qui vieillit à vue d'oeil loin de Rome, loin des siens...
Doit-il désespérer pour autant ?
Peut-être pas...


Mes tempes, désormais, ressemblent aux plumes du cygne
     Et la vieillesse teint en blanc mes noirs cheveux.
La faiblesse me gagne et mon âge est sur le déclin ;
     J’ai du mal à me soutenir et je chancelle.
Ce devait être le moment, mes travaux terminés,
     De vivre sans subir les tourments de la crainte,
De jouir de loisirs que j’ai toujours affectionnés,
     De m’adonner avec mollesse à mes études,
De chanter mon petit chez moi et mes bons vieux Pénates,
     Et les champs paternels – qui ont perdu leur maître –, 10
Et de vieillir dans ma patrie, sans souci, entouré
     De mon épouse aimante et de mes chers amis.
Voilà ce que jadis je m’étais pris à espérer,
     Telle est la fin que j’aurais mérité d’avoir.
Les dieux l’ont vu autrement : sur terre et sur mer, ils m’ont
     Chassé, puis m’ont abandonné chez les Sarmates.
Les bateaux endommagés vont au bassin de radoub
     Pour ne pas risquer de se disloquer au large.
Pour ne pas dégrader en tombant sa gloire passée,
     Le cheval fatigué va brouter dans un pré. 20
Quand le soldat a fait son temps et ne peut plus servir,
     Il remet aux antiques dieux Lares ses armes ;
De même, la vieillesse a fini par m’ôter mes forces :
     Il était temps que je sois démobilisé,
Temps que je me retire dans mes jardins solitaires
     Ou que je jouisse de Rome et de sa foule
Plutôt que d’être envoyé respirer l’air étranger
     Et assouvir ma soif à une source gète.
Je ne me doutais pas, alors, de ce qui m’attendait :
     Je souhaitais pouvoir vivre une vieillesse heureuse. 30
Il n’en fut rien : les destins m’ont donné une jeunesse
     Nonchalante, et ils ont accablé mes vieux ans.
J’avais déjà vécu dix lustres sans faire un faux pas
     Quand je fus terrassé, au déclin de ma vie,
Quand, près du terme que je croyais presque avoir touché,
     Mon char s’est grossièrement fracassé. J’ai donc
Contraint, par ma folie, à sévir contre moi celui
     Qui de tout l’immense univers est le plus doux.
Mes fautes sont venues à bout de sa propre clémence.
     Mais je n’ai pas payé mon erreur de ma vie : 40
Ma vie, je dois la passer loin de chez moi, chez Borée,
     Sur la rive occidentale du Pont-Euxin.
Si l’on me le prédisait à Delphes ou même à Dodone,
     Je trouverais que ces oracles sont menteurs.
Rien n’est assez résistant, même riveté d’acier,
     Pour ne pas succomber au feu de Jupiter.
Rien n’est si élevé, si inaccessible aux dangers
     Qui ne soit inférieur et soumis à un dieu.
Bien que mes malheurs soient causés en partie par ma faute,
     Je dois surtout ma ruine à un dieu en colère. 50
Tirez donc une leçon de ce qui m’est arrivé :
     Montrez-vous obligeants envers l’égal des dieux.


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