mardi 14 avril 2020

Tristesses, III, 12

Voici que le printemps revient, ce qui devrait mettre un peu de baume à l'âme d'Ovide. Mais il s'abandonne à une rêverie nostalgique qui le ramène en Rome lorsque le printemps est là, et le prive du moindre répit. Décidément...

                             

Voici que les Zéphyrs chassent les froids ; l’année s’achève,
     Et jamais un hiver ne m’a paru plus long.
Le bélier, qui ne sut pas conduire à bon port Hellé,
     Qu’il portait sur son dos, ramène l’équinoxe.
Voici que filles et garçons cueillent joyeusement
     La violette des champs, qui pousse toute seule ;
Les prés se couvrent d’un duvet de fleurs multicolores
     Et l’oiseau chante instinctivement le printemps.
L’hirondelle ne veut plus passer pour mauvaise mère
     Et construit sous la poutre un petit nid caché ; 10
L’herbe, que les sillons de Cérès recouvraient,
     Sort en pointant sa tendre tige hors de la terre.
Là où pousse la vigne, le sarment porte un bourgeon,
     Mais la vigne pousse bien loin de chez les Gètes ;
Là où poussent les arbres, sur l’arbre gonfle un rameau,
     Mais les arbres poussent bien loin de chez les Gètes.
Chez toi, c’est le temps des loisirs, des jeux qui se succèdent ;
     Sur le forum bavard, plus de joutes verbales.
Maintenant, place aux chevaux, place aux armes mouchetées,
     A la balle, au cerceau, qui roule prestement ; 20
Maintenant les jeunes gens, tout enduits d’une huile fluide,
     Plongent leurs bras fourbus dans les eaux de la source.
La scène bat son plein : chacun applaudit ce qu’il aime.
     Trois forums se sont tus ; trois théâtres résonnent.
Ô ! cent fois, mille fois heureux celui qui a le droit
     De profiter de Rome en toute liberté.
Moi, je vois la neige fondue au soleil du printemps,
     Le lac, dont l’eau n’est plus tirée à coup de pic ;
La mer ne gèle plus, et le Sarmate ne fait plus
     Traverser le Danube à ses chariots grinçants. 30
Quelques bateaux, cependant, vont naviguer jusqu’ici ;
     Un vaisseau étranger mouillera dans le Pont.
Vite, je cours à la rencontre d’un marin. « Salut !
     Que viens-tu faire ici ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? »
Le plus probable est qu’il viendra d’une proche région,
     Qu’il aura navigué sans danger, en voisin.
Un Italien fait rarement pareille traversée,
     Vient rarement croiser sur ces côtes sans port.
Cependant, s’il connaît le grec, s’il connaît le latin,
     – J’aurais plus de plaisir que ce soit le latin – 40
(On peut aussi jusqu’ici faire voile, avec un bon
     Notus, depuis le Bosphore et la Propontide),
Qui qu’il soit, il peut, de mémoire, rapporter ce qui
     Se dit, alimenter les bruits, les propager.
Puisse-t-il me conter ce qu’il sait : les triomphes de
     César, les voeux rendus à Jupiter Latin,
Ta soumission à un grand chef, rebelle Germanie,
     Qui poses tristement ta tête sous son pied.
Qui me rapportera ce qu’hélas ! je n’aurai pas vu
     Deviendra aussitôt l’hôte de ma maison. 50
Malheur ! Voici la maison de Naso en terre Scythe ?
     Mon châtiment veut-il que j’aie ici mes Lares ?
Dieux, faites que César ne m’impose pas ce séjour
     Plus longtemps qu’il ne faut pour y purger ma peine.

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