jeudi 9 avril 2020

Tristesses, III, 7

Voici une élégie pleine de fraîcheur. Ovide s'y adresse à Périlla, une jeune poétesse à qui il avait donné des conseils quand il vivait à Rome. Une ancienne élève, en quelque sorte...
Et maintenant, que va-t-il lui conseiller ?...

Sappho de Lesbos
                            

Va saluer Périlla, lettre écrite prestement,
     Toi, la fidèle servante de mes paroles.
Tu la trouveras assise avec sa mère chérie,
     Au milieu de ses chères Muses, de ses livres.
Apprenant ta venue, elle quittera son ouvrage
     Et aussitôt : « Qui t’amène ? Que devient-il ?
– Tout en étant en vie, il préfèrerait être mort ;
     Il y a longtemps qu’il souffre et n’en souffre pas moins.
Les Muses lui ont nui, mais il est revenu vers elles :
     Il fait entrer les mots qu’il faut dans des distiques. 10
Et toi, te tiens-tu aussi à ce qui nous passionnait ?
     Fais-tu des vers savants au tour si personnel ?
Car la nature et le destin t’ont accordé de la
     Pudeur, des qualités rares et du talent.
Je l’ai conduit le premier à la source de Pégase
     Pour que ne tarît pas cette veine féconde ;
Le premier, je l’ai remarqué dans tes tendres années
     Et comme un père t’ai guidée, accompagnée.
Si, donc, le même feu continue à brûler en toi,
     Seule Sappho de Lesbos peut te surpasser. 20
Mais je crains que mon sort actuel ne te décourage
     Et que tous mes malheurs ne te démoralisent.
Tant que nous l’avons pu, je t’ai lu mes vers, toi les tiens ;
     Souvent je fus ton maître et souvent ton critique :
Je prêtais l’oreille aux vers que tu venais d’achever
     Ou, si tu te relâchais, je te faisais honte.
Mais peut-être, du fait que mes livres m’ont porté tort,
     As-tu craint de connaître un semblable destin.
Ne crains rien, Périlla, tant que tes vers n’apprendront pas
     Ce que c’est que l’amour aux hommes et aux femmes. 30
Quitte donc tes raisons de ne rien faire, ô doctissime,
     Et reprends ton sacerdoce de poétesse.
A la longue, les années gâteront ton beau visage,
     Ton front vieilli aura la ride des vieux jours.
La vieillesse ravageuse avance à pas silencieux ;
     Elle mettra la main sur ta beauté. Tu te
Désoleras lorsqu’on dira de toi : « Elle était belle »,
     Et te plaindras que ton miroir soit un menteur.
Tu mérites d’avoir de l’argent, et tu en as peu,
     Mais imagine-toi que tu en aies beaucoup. 40
La fortune, on le sait bien, donne et reprend à sa guise :
     Crésus la veille, on est Irus le lendemain.
Disons, pour faire bref, que tous nos biens sont périssables
     Hormis les biens du coeur et les biens de l’esprit.
Moi, par exemple : sans patrie, sans maison et sans vous,
     Dépouillé de tout ce qu’on pouvait m’enlever,
Je n’ai pourtant pas perdu mon talent et je l’exerce :
     César n’a pu faire valoir de droit sur lui.
Qu’un coup d’épée cruel vienne mettre fin à ma vie ;
     Après ma mort, ma renommé me survivra 50
Et tant que la Rome de Mars, victorieuse, verra
     De ses monts l’univers vaincu, je serai lu.
Echappe au mieux, toi aussi, au bûcher inévitable
     Et pratique ton art avec plus de bonheur.

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