Bref, une élégie qu'on aimerait entendre parler plus longtemps...
Envoyée par Naso, j’arrive des bords de l’Euxin,
Epuisée par la mer, épuisée par la route.
Il m’a dit en pleurant : « Puisque tu le peux, va voir Rome !
Comme ton sort, hélas ! est meilleur que mon sort. »
Il m’a aussi écrit en pleurant et n’a pas porté
A sa bouche son sceau, mais à ses joues humides.
Si vous demandez quelle est la cause de sa tristesse,
Demandez aussi bien où trouver le soleil.
Vous ne verrez ni feuilles dans un bois, ni herbe tendre
Dans un vaste pré, ni eau dans le lit d’un fleuve ; 10
Vous serez surpris que Priam pleure la mort d’Hector,
Philoctète, piqué par un serpent, gémisse.
Ah ! si seulement Naso n’avait pas à déplorer
Ce qui fait sa tristesse ! Il supporte pourtant
L’amertume de son sort patiemment, comme il le doit,
Sans refuser le mors, tel un cheval fougueux.
La colère du dieu finira un jour, il l’espère,
Car, pour être coupable, il n’est pas criminel.
Il rappelle souvent à quel point le dieu est clément,
Et a coutume de citer son propre exemple : 20
Car s’il a toujours ses biens, son titre de citoyen,
Enfin, s’il est en vie, c’est au dieu qu’il le doit.
Mais toi qui es, si tu m’en crois, son ami le plus cher
De tous, il te garde toujours au fond du coeur.
Il t’appelle Patrocle, il t’appelle Pylade, il te
Nomme Thésée, il te nomme encore Euryale.
Il ne regrette pas plus sa patrie et tout ce dont
Il éprouve l’absence en plus de sa patrie
Que ton visage et que tes yeux ; car tu lui es plus doux
Que les rayons de miel des abeilles attiques. 30
Souvent aussi, dans son chagrin, il se souvient du temps
Où il eût préféré que la mort vînt le prendre ;
Quand tous, fuyant son désastre soudain et contagieux,
Se détournaient d’un seuil qu’avait frappé la foudre,
Quelques amis et toi, il s’en souvient, êtes restés
Fidèles – quelques-uns veut dire deux ou trois…
Quoiqu’il fût abasourdi, il comprit tout et vit bien
Que ses malheurs ne t’accablaient pas moins que lui.
Il rappelle souvent tes mots, ton expression, tes plaintes,
Et que tu as baigné sa poitrine de pleurs, 40
Que tu l’as assisté, que tu as consolé de ton
Mieux un ami qui aurait pu te consoler.
En retour, il te gardera pieusement en mémoire,
Qu’il voie le jour ou que la terre le recouvre ;
Il l’a juré sur sa tête, il l’a juré sur la tienne
– Et je sais qu’il y tient tout autant qu’à la sienne.
Pour tout cela, tu auras toute sa reconnaissance :
Jamais tes boeufs n’auront labouré le rivage.
Protège seulement le banni sans faillir ; ce voeu
Vient de moi, non de lui – qui te connaît trop bien. 50
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