mercredi 6 mai 2020

Tristesses, V, 9

"Retenez-moi, ou je lâche son nom !..."
C'est un peu ce que dit Ovide, qui voudrait remercier nommément celui qui l'a soutenu dans son épreuve. Mais il se l'interdit, de peur de lui nuire en le désignant comme un ami intime de l'exilé...
Retenons donc Ovide...

Thalie, muse de la comédie et de la poésie lyrique, 18e s.

Collections des musées. Musée Bernard d'Agesci de Niort

                             

Si tu m’autorisais à mentionner ton nom dans mes
     Poèmes, que de fois tu serais mentionné !
Je ne chanterais que toi, me souvenant de ma dette ;
     Tu ne serais absent d’aucune de ces pages.
Tout Rome saurait ce que je te dois, si toutefois
     Le lointain exilé est toujours lu à Rome.
Notre siècle et le suivant connaîtraient ta gentillesse,
     Si mon oeuvre, du moins, résiste au temps qui passe.
Sachant cela, le lecteur ne tarirait pas d’éloges :
     C’est ce que te vaudrait le salut d’un poète. 10
Je respire toujours, premier bienfait dû à César ;
     Rendons grâces aux dieux et, après eux, à toi :
Il m’a donné la vie et toi, tu veilles sur ce don
     Et me permets de profiter de ce bienfait.
Beaucoup de gens étaient horrifiés par mes malheurs
     Et certains autres faisaient croire qu’ils l’étaient ;
Depuis une hauteur, ils assistaient à mon naufrage,
     Sans aider celui qui nageait dans la tempête.
Toi seul m’as ramené à demi-mort des eaux du Styx ;
     Si je peux en parler, c’est toujours grâce à toi. 20
Que les dieux, que César te conservent leur amitié !
     Pourrais-je te souhaiter quelque chose de plus ?
Voilà ce que mon travail exposerait au grand jour
     Dans des livres circonstanciés, si tu voulais.
Encore aujourd’hui, ma Muse a failli lâcher ton nom
     Contre ton gré, bien qu’elle ait l’ordre de se taire.
Le chien qui a flairé une biche craintive tire,
     En vain, sur la dure laisse qui le retient ;
De son sabot, de son front, le cheval, frappe avec fougue
     La porte de la stalle encore verrouillée ; 30
De même, ma Thalie, qu’une loi bâillonne et enchaîne,
     Désire divulguer le nom qu’elle doit taire.
Mais plutôt que de te blesser en faisant mon devoir,
     J’obéirai, n’aie crainte, à tes commandements
Et n’y désobéirai que si je te semble ingrat ;
     Car tu n’interdis pas d’être reconnaissant.
Et tant que je serai en vie – peu de temps, je l’espère –,
     Ce souffle-là demeurera à ton service.

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