mardi 5 mai 2020

Tristesses, V, 8

Comme s'il ne suffisait pas à Ovide de lutter contre son infortune : il faut qu'il se batte contre celui qui, à Rome, s'en prend à lui.
Mais la roue de Fortune tourne, et celui qui attaque aujourd'hui pourrait bien, demain, être attaqué. A bon entendeur...


Fortune tournant sa roue dans un manuscrit des Échecs amoureux d'Eyrard de Conty (XVe siècle)
                             

Certes, je suis tombé bien bas, mais pas assez pour être
     Encor plus bas que toi, le plus abject des hommes.
Qu’est-ce qui t’anime contre moi, vaurien ? Pourquoi t’en prendre
     A mes malheurs ? En serais-tu donc à l’abri ?
Mes maux feraient pleurer les bêtes ; ils ne te touchent pas ?
     Tu ne t’attendris pas sur moi, qui gis à terre ?
Tu ne crains ni la Fortune et son inconstante roue,
     Ni Némésis qui n’aime pas les orgueilleux
– Déesse vengeresse, elle punit qui le mérite – ?
     Pourquoi piétines-tu ainsi ma destinée ? 10
J’ai vu périr en mer quelqu’un qui avait ri d’un naufrage ;
     « L’onde, ai-je dit, ne s’est jamais montrée plus juste ».
Quelqu’un refusait à des miséreux un bout de pain ;
     Lui-même aujourd’hui va mendiant sa nourriture.
La fortune est inconstante, elle avance en louvoyant
     Et ne se fixe nulle part pour bien longtemps :
Tantôt elle vous sourit, tantôt vous fait grise mine
     Et n’est constante que dans sa légèreté.
Moi aussi je fus florissant, floraison éphémère,
     Car mon feu ne dura pas plus qu’un feu de paille. 20
Qu’une cruelle joie ne t’envahisse pourtant pas :
     Je ne perds pas l’espoir d’apaiser notre dieu :
Si j’ai péché, je n’ai pas été criminel ; ce qui
     Me vaut le déshonneur ne me vaut pas la haine.
Et de l’Orient au Couchant, il n’est rien de plus doux
     En ce vaste univers que celui qui le guide.
Pour dire vrai, si nul ne peut le vaincre par la force,
     Il a un coeur qui cède aux prières craintives.
Et, comme avec les dieux – il le sera bientôt –, je vais
     Ajouter une autre demande à ma première. 30
Compte les jours radieux et les jours gris sur une année ;
     Tu verras que les jours ensoleillés l’emportent.
Ne te réjouis donc pas trop de ma ruine, et dis-toi
     Que je peux, moi aussi, me rétablir un jour,
Dis-toi que tu peux voir mon visage au milieu de Rome
     Si le prince s’apaise – et te voilà tout triste –,
Que je peux te voir exilé pour un motif plus grave ;
     Tel est le voeu que je formerai en second.

Aucun commentaire: