Tu me disais alors : "J'en
jure par ces périls mêmes, tu seras à moi tant que nous vivrons l'un et
l'autre." Nous vivons, et je ne suis pas à toi, Thésée, si toutefois tu
vis, femme qu'a ensevelie la trahison d'un parjure époux.
Que ne m'as-tu aussi immolée, barbare, de la même
massue qui frappa mon frère ? Cette mort eût délié la foi que tu m'avais
donnée. Maintenant je me représente non seulement les maux que je dois
supporter, mais tous ceux que peut souffrir une femme abandonnée. La mort
s'offre à mon esprit sous mille aspects divers. On souffre moins de la recevoir
que de l'attendre. Je vois déjà venir à moi, d'un côté ou d'un autre, des loups
dont la dent avide déchirera mes entrailles. Peut-être aussi le sol nourrit-il
des lions à la fauve crinière. Qui sait si cette île n'est pas infestée de
tigres féroces ? On dit aussi que la mer y vomit d'énormes phoques. Qui empêche
que des glaives ne me traversent le flanc ? Seulement, puissé-je n'avoir pas,
comme une captive, à gémir sous le poids cruel des chaînes ; ne pas voir, comme
une esclave, mes mains condamnées à une tâche accablante, moi, dont le père est
Minos, et la mère une fille de Phébus, moi, et c’est ce que j’ai oublié le
moins, moi qui fus sa fiancée ! Si, je regarde les ondes, la terre et les
rivages lointains, la terre et les ondes me font d’égales et d'innombrables
menaces. Restait le ciel : je crains des dieux jusqu'à leurs images. Je suis
une proie, une pâture livrée sans défense aux bêtes furieuses.
Traduction Théophile Baudement
Photo et montage Isabelle Jouteur copyright ©