jeudi 26 mars 2020

Tristesses, I, 6

L'élégie que voici est adressée à Fabia, l'épouse d'Ovide. Elle est restée à Rome pour veiller aux intérêts de son mari et tenter d'obtenir son rappel ou son déplacement vers des lieux plus riants. Ovide attend beaucoup d'elle dans ces circonstances. Mais elle-même, n'a-t-elle pas beaucoup à attendre d'Ovide ? Quoi donc, me direz-vous, vu l'éloignement, vu la condamnation...
Lisez, et vous verrez...
 

Description de cette image, également commentée ci-après
 
Ovide, représenté par Anton von Werner
d'après le buste romain de la galerie des Offices à Florence (1905).
                             

Lydé ne fut pas si chère au poète de Claros
     Ni Bittis tant aimée du poète de Cos
Que tu n’es gravée dans mon coeur, femme qui méritais
     Un mari non meilleur mais moins infortuné.
Pareille à un étai, tu m’as soutenu dans ma ruine ;
     C’est à toi seule que je dois de subsister.
Grâce à toi, ceux qui guettaient les débris de mon naufrage
     Ne m’ont pas dépouillé, ne m’ont pas mis à nu ;
Comme un loup rapace, poussé par la faim et la soif
     De sang, convoite une bergerie sans gardien,
Comme un vautour vorace à la recherche d’un cadavre
     Encore étendu à même le sol tournoie,
Ainsi, quelqu’un, peu solidaire de l’infortuné,
     Allait prendre mes biens si tu n’avais rien fait.
Ton courage et des amis valeureux l’en empêchèrent,
     – Amis qu’on ne saurait assez remercier – ;
Je peux, dans mon malheur, en témoigner sincèrement,
     A supposer qu’un tel témoignage ait du poids.
L’épouse d’Hector n’était pas plus loyale que toi
     Ni celle qui suivit son mari dans la mort.
Et si tu avais eu Homère pour te célébrer,
     Tu passerais la renommée de Pénélope,
Que tu doives à toi et non à ton éducation
     Des qualités qui ont vu le jour avec toi,
Ou que la princesse que de tout temps tu honoras
     Fasse de toi l’exemple de la bonne épouse,
Et qu’à la fréquenter assidûment, tu lui ressembles,
     Si le petit peut être comparé au grand.
Hélas ! mes vers n’ont pas beaucoup de force et mes paroles
     N’atteignent pas à la hauteur de tes bienfaits.
S’il y eut en moi, par le passé, vigueur et énergie,
     De longs malheurs ont tout détruit, tout ravagé.
Tu serais au premier rang des héroïnes sacrées,
     La première qu’on remarquât pour sa belle âme.
Mais, quoi que vaillent les éloges que je te décerne,
     Grâce à mes vers, tu vivras éternellement.

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