dimanche 16 avril 2017

Constanţa


Vous le savez, Ovide est mort en exil à Tomes, sur la côte occidentale du Pont-Euxin, au fin bout de l’empire romain. Si je transpose en termes modernes, je dirai qu’il est mort à Constanţa (prononcer "Constantsa"), sur la côte occidentale de la mer Noire, en Roumanie, donc.
Ovide faisait à ses destinataires romains une description des lieux et de leurs habitants suffisamment accablante pour que ses compatriotes s’apitoient sur son sort et œuvrent à son rappel ou, du moins, à son transfert dans un lieu d’exil moins austère.
Voici, par exemple, ce qu’il écrit dans une élégie des Tristes :

Au dehors, rien n’est sûr : la colline n’est défendue
                        Que par sa situation et de frêles remparts.
Quand on s’y attend le moins, toute une nuée d’ennemis
                        S’abat et, ni vu ni connu, ravit sa proie.
Souvent, nous ramassons à l’intérieur des murs des traits
                        Empoisonnés, en pleine rue, portes fermées.
Rares sont donc les malheureux qui cultivent la terre,
                        Labourant d’une main, se défendant de l’autre.
Le berger joue sur sa flûte de Pan coiffé d’un casque ;
                        Ses brebis n’ont pas peur du loup mais de la guerre.
Ce fort nous protège tant bien que mal, mais au-dedans,
                        Des barbares, mêlés aux Grecs, sèment l’effroi :
Ils habitent avec nous, sans la moindre distinction,
                        Occupant même la plupart des logements ;
On pourrait, sans en avoir peur, les avoir en horreur :
Il suffit de les voir, couverts de peaux, hirsutes.
Même ceux dont on croit qu’ils ont une origine grecque
                        Portent non l’habit national mais des braies perses.
Ils conversent dans une langue qu’ils ont en commun ;
                        Je dois, pour m’expliquer, recourir à des gestes.
Le barbare, ici, c’est moi ; personne ne me comprend
                        Et le latin fait rire ces idiots de Gètes.
D’après Ovide, Tristes, V, 10, 17-38

Qu’en est-il donc de la moderne Constanţa ?
Pour tenter de répondre à cette question, on peut faire une recherche sur Internet. Mais j’ai bien mieux à vous proposer.
Les photographes du collectif "Vertige" ont décidé de passer quelques jours, en ce mois d'avril, à Constanţa le temps d'y réaliser un reportage photographique à leur façon. Car ils n'en sont pas à leur coup d'essai : ils ont visité ces dernières années Zaragoza, Liverpool et Hambourg. Vous verrez ce qu'il en ont rapporté en parcourant leur site : http://photovertige.free.fr/
Un de ses membres m’a fait parvenir des clichés que je voudrais, à mon tour, vous faire partager.

Tout d’abord, le port ! C’est par là qu’Ovide est arrivé, c’est là qu’il guettait les bateaux en provenance de Rome, c’est de là qu’il a espéré partir pendant des années, en vain.
Voici donc à quoi ressemble le port moderne, qui est le plus grand terminal céréalier d’Europe.






Mais je me doute qu'après avoir guetté, Ovide passait à autre chose. Peut-être faisait-il un tour à la plage... Celle de Mamaia, au nord de Constanţa, déroule son tapis de sable fin sur plusieurs kilomètres.



Y retrouvait-il un ami ? Sans doute un ami pêcheur. Car il faut savoir qu'Ovide a aussi composé un traité en vers sur les poissons, les Halieutiques. Il y décrit, en particulier, les différentes techniques de pêche, et donne divers conseils, dont celui-ci : "Néanmoins, je ne te recommanderais pas d'aller jusqu'en pleine mer ni d'explorer les profondeurs du large : dans un endroit intermédiaire tu seras mieux pour manœuvrer ta ligne" (D'après Ovide, Halieutiques, 83-85, trad. E de Saint-Denis). Je ne doute pas une seconde qu'Ovide lui-même n'ait pratiqué la pêche.
Une fois la partie terminée, ils pouvaient faire cuire leurs prises ou, s'ils étaient bredouilles, faire halte dans une petite taverne, au bord de l'eau...



Bon appétit, messieurs !




Et merci à Joël Arpaillange pour les photos !


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