mercredi 26 avril 2017

Ils sont à l'honneur...

Aujourd'hui a lieu la première de deux opéras.
Sont donc à l'honneur Francesco Cavalli (1602-1676), compositeur de La Calisto, et Christophe Rousset, qui dirigera ce soir Les Talens Lyriques à Strasbourg, à l'Opéra national du Rhin.




Au même moment, à Paris, à l'Opéra-Comique, dans une salle Favart flambant neuve, Jordi Savall dirigera le Concert des Nations pour une représentation d'Alcione de Marin Marais (1656-1728). L'opéra sera diffusé sur France Musique le dimanche 21 mai.




Deux compositeurs sont donc à l'honneur, deux chefs d'orchestre, deux ensembles musicaux ainsi que, ne l'oublions pas, celui qui a inspiré Giovanni Faustini, le librettiste de La Calisto, et Antoine Houdar de La Motte, le librettiste d'Alcione, je veux, bien sûr, parler d'Ovide...

samedi 22 avril 2017

Promenade architecturale dans Constanţa

Voici quelques photos du centre-ville de Constanţa.




Ovide s'est-il adonné au dessin pour tuer le temps ? Peut-être ici-même, là-où ce vieux monsieur peint le casino, tout aussi désert que celui d'Ostende...


La place Ovidiu, pour finir. Comme il se doit, le poète y trône, statufié par Ettore Ferrari en 1887.
Autour de lui, quelques bâtiments qui offrent un raccourci de l'histoire de Constanţa : son passé ottoman, avec la mosquée Mahmud II, ses très riches heures, avec un immeuble datant du début du XXe s., lorsque la station balnéaire attirait les grands de ce monde - le tsar Nicols II y vint en famille et en villégiature. Le casino date de cette époque. Sa période communiste, avec un immeuble ni achevé, ni rénové, ruine de béton et de verre. De quoi laisser Ovide songeur...
Et derrière lui, le musée national d'Histoire et d'Archéologie, qui est un peu sa résidence...





dimanche 16 avril 2017

Constanţa


Vous le savez, Ovide est mort en exil à Tomes, sur la côte occidentale du Pont-Euxin, au fin bout de l’empire romain. Si je transpose en termes modernes, je dirai qu’il est mort à Constanţa (prononcer "Constantsa"), sur la côte occidentale de la mer Noire, en Roumanie, donc.
Ovide faisait à ses destinataires romains une description des lieux et de leurs habitants suffisamment accablante pour que ses compatriotes s’apitoient sur son sort et œuvrent à son rappel ou, du moins, à son transfert dans un lieu d’exil moins austère.
Voici, par exemple, ce qu’il écrit dans une élégie des Tristes :

Au dehors, rien n’est sûr : la colline n’est défendue
                        Que par sa situation et de frêles remparts.
Quand on s’y attend le moins, toute une nuée d’ennemis
                        S’abat et, ni vu ni connu, ravit sa proie.
Souvent, nous ramassons à l’intérieur des murs des traits
                        Empoisonnés, en pleine rue, portes fermées.
Rares sont donc les malheureux qui cultivent la terre,
                        Labourant d’une main, se défendant de l’autre.
Le berger joue sur sa flûte de Pan coiffé d’un casque ;
                        Ses brebis n’ont pas peur du loup mais de la guerre.
Ce fort nous protège tant bien que mal, mais au-dedans,
                        Des barbares, mêlés aux Grecs, sèment l’effroi :
Ils habitent avec nous, sans la moindre distinction,
                        Occupant même la plupart des logements ;
On pourrait, sans en avoir peur, les avoir en horreur :
Il suffit de les voir, couverts de peaux, hirsutes.
Même ceux dont on croit qu’ils ont une origine grecque
                        Portent non l’habit national mais des braies perses.
Ils conversent dans une langue qu’ils ont en commun ;
                        Je dois, pour m’expliquer, recourir à des gestes.
Le barbare, ici, c’est moi ; personne ne me comprend
                        Et le latin fait rire ces idiots de Gètes.
D’après Ovide, Tristes, V, 10, 17-38

Qu’en est-il donc de la moderne Constanţa ?
Pour tenter de répondre à cette question, on peut faire une recherche sur Internet. Mais j’ai bien mieux à vous proposer.
Les photographes du collectif "Vertige" ont décidé de passer quelques jours, en ce mois d'avril, à Constanţa le temps d'y réaliser un reportage photographique à leur façon. Car ils n'en sont pas à leur coup d'essai : ils ont visité ces dernières années Zaragoza, Liverpool et Hambourg. Vous verrez ce qu'il en ont rapporté en parcourant leur site : http://photovertige.free.fr/
Un de ses membres m’a fait parvenir des clichés que je voudrais, à mon tour, vous faire partager.

Tout d’abord, le port ! C’est par là qu’Ovide est arrivé, c’est là qu’il guettait les bateaux en provenance de Rome, c’est de là qu’il a espéré partir pendant des années, en vain.
Voici donc à quoi ressemble le port moderne, qui est le plus grand terminal céréalier d’Europe.






Mais je me doute qu'après avoir guetté, Ovide passait à autre chose. Peut-être faisait-il un tour à la plage... Celle de Mamaia, au nord de Constanţa, déroule son tapis de sable fin sur plusieurs kilomètres.



Y retrouvait-il un ami ? Sans doute un ami pêcheur. Car il faut savoir qu'Ovide a aussi composé un traité en vers sur les poissons, les Halieutiques. Il y décrit, en particulier, les différentes techniques de pêche, et donne divers conseils, dont celui-ci : "Néanmoins, je ne te recommanderais pas d'aller jusqu'en pleine mer ni d'explorer les profondeurs du large : dans un endroit intermédiaire tu seras mieux pour manœuvrer ta ligne" (D'après Ovide, Halieutiques, 83-85, trad. E de Saint-Denis). Je ne doute pas une seconde qu'Ovide lui-même n'ait pratiqué la pêche.
Une fois la partie terminée, ils pouvaient faire cuire leurs prises ou, s'ils étaient bredouilles, faire halte dans une petite taverne, au bord de l'eau...



Bon appétit, messieurs !




Et merci à Joël Arpaillange pour les photos !


mercredi 12 avril 2017

Métamorphoses et politique (VII)



Ovide le dit lui-même dans la première élégie des Tristes :

 (…) On dénombre une métamorphose de plus,
                        Celle de la physionomie de ma fortune,
Rendue soudain bien différente de ce qu’elle était :
                        Souriante naguère, aujourd’hui à pleurer.
D’après Ovide, Tristes, I, 1, 119-122

En quoi consiste cette métamorphose ? Elle a plusieurs aspects, sur lesquels Ovide insiste. Le plus visible est un changement dans le physique et le moral du poète.

Je suis, hélas, tombé pour toujours en langueur.
Que mon corps soit contaminé par mon esprit malade,
                        Ou que mon mal provienne de cette région,
Depuis que j’ai atteint le Pont, l’insomnie me tourmente,
                        J’ai la peau sur les os, pas un plat ne me plaît.
La couleur qu’en automne, au premier coup de froid, on voit
Aux feuilles quand l’hiver nouveau les a meurtries,
C’est la couleur que l’on me voit ; mes forces m’abandonnent
                        Et j’ai toujours à me plaindre d’une douleur.
Ma tête ne va pas mieux que mon corps : ils sont tous deux
                        Tout aussi mal en point, et c’est double souffrance.
D’après Ovide, Tristes, III, 8, 24-34

A ce premier changement s’en ajoute un second en rapport avec son statut social et sa vie quotidienne. A Rome, Ovide était parvenu au faîte de la gloire littéraire, au sommet de la réussite mondaine. Arrivé à Tomes, il va totalement déchoir. Lui qui jouissait de tous les avantages que peut procurer la civilisation se retrouve dans un lieu qu’il présente comme un lieu à peine civilisé ; lui qui jouissait de la paix instaurée par Auguste, de la Pax Augusta, il se retrouve dans un pays où règne l’insécurité. Voici le tableau qu’il fait de sa situation au milieu de populations barbares, les Besses et les Gètes :

Quelle misère que de vivre entre Besses et Gètes
                        Lorsque l’on fut toujours l’idole de la foule,
Que de tenir sa vie à l’abri d’un mur, d’une porte,
                        D’être à grand peine protégé par un rempart.
Jeune homme, j’échappai à l’armée, à ses durs combats,
                        Et je n’ai manié les armes que par jeu.
Devenu vieux, je porte une épée au côté, au bras,
                        Un bouclier, sur ma tête chenue, un casque.
D’après Ovide, Tristes, IV, 1, 67-74

Mais le changement le plus grave est sans doute le changement culturel que connaît Ovide. Le poète considéré comme le plus virtuose de la latinité en est réduit à faire cet aveu déchirant :

Pas un seul livre ici, personne pour prêter l’oreille
                        Et comprendre ce que veulent dire mes mots.
Ce n’est partout que barbarie, voix de bêtes sauvages ;
                        Tout résonne d’accents gètes, qui terrifient.
J’ai moi-même l’impression d’avoir perdu mon latin,
                        Et je sais maintenant mon gète et mon sarmate.
D’après Ovide, Tristes, V, 12, 54-59

Ovide résume ainsi sa situation : « Le barbare, ici, c’est moi » (Tristes, V, 10, 37).

Peut-on pour autant prétendre que l’on ait affaire à une métamorphose complète ? Eh bien non, et ce pour deux raisons.
Ovide n’a pas été à proprement parler exilé à Tomes ; il y a été relégué. Cela signifie qu’il n’a pas perdu son statut de citoyen et qu’il n’a pas été spolié de ses biens. C’est ce qui le pousse à ne pas désespérer tout à fait de sa situation : si Auguste ne l’a pas privé de tout au plus fort de sa colère, il devrait pouvoir, avec le temps, alléger sa peine.
Mais surtout, Ovide est resté fondamentalement ce qu’il était, c'est-à-dire un poète. Lui-même reconnaît qu’il y a là une contradiction : il a été perdu par un poème, l’Art d’aimer, mais ce qui lui permet de rester en vie, de ne perdre courage, c’est la poésie.

  (…) Oui, je trouve du charme aux livres qui m’ont nui
                        Et j’aime l’arme qui m’a fait une blessure.
On peut juger que cette passion est folie ; pourtant
Cette folie comporte aussi ses avantages :
Elle évite à mon esprit de ne voir que mes malheurs
                        Et lui fait oublier ma présente infortune.
D’après Ovide, Tristes, IV, 1, 35-40

Il continue à écrire, même s’il n’est pas lu sur place. Il rédige les Tristes puis les Lettres du Pont, deux recueils de lettres en vers, qu’il envoie à Rome pour rappeler son existence à ses concitoyens et tenter de les apitoyer. Il écrit même dans le dialecte local, qu’il a appris.
Auguste a donc épargné à Ovide une mort physique – même si les conditions de vie à Tomes entraînent une dégradation physique – et une mort civique – il est relégué et non exilé – ; il lui a imposé une mort culturelle – en l’envoyant en pays barbare – et sociale – en le privant de la société romaine.

Au terme de ces réflexions, que retenir ?
Qu’Ovide incite à pratiquer de la mythologie « une lecture politique fondée sur la mise en parallèle des Olympiens et du princeps : évidemment, (...) elle est loin de produire la légitimation qu’attend le régime de ce type de correspondances » (Jacqueline Fabre-Serris, Mythe et poésie dans les Métamorphoses d’Ovide, 80). C’est, entre autres, ce qui lui vaudra de passer du statut de ‘métamorphoseur’ à celui de métamorphosé, ce qui donnera à Auguste l’occasion de le battre avec ses propres armes.
Demandons-nous pourtant à qui revient la victoire finale, et pour ce, lisons les tout derniers vers des Métamorphoses.

L’œuvre que voilà, ni la colère de Jupiter,
Ni le feu, le fer, le temps rongeur ne la détruiront.
Vienne, quand il le voudra, le jour qui n’a prise que
Sur mon corps, qu’il boucle le cours incertain de ma vie.
Le meilleur de moi me fera m’élever, immortel,
Par-delà les hauteurs des astres ; mon nom perdurera.
Là où Rome étend son pouvoir, sur les terres soumises,
Je serai sur toutes les lèvres ; par mon renom, toujours,
Si le présage d’un poète dit vrai, je vivrai…
D’après Ovide, Métamorphoses, XV, 871-879

Après avoir prophétisé l’apothéose d’Auguste, Ovide prophétise la sienne propre, qu’il devra à son art : les poètes sont immortels par leurs œuvres. C’est certes un lieu commun, mais il se vérifie. La semaine consacrée par France Culture aux Métamorphoses en est la meilleure preuve. Le lecteur referme donc l’ouvrage qu’il vient d’achever non sur l’idée que le régime augustéen a trouvé en Ovide un chantre qui l’immortalise, mais qu’Ovide a été l’artisan de sa propre immortalité littéraire.

Ce qui a aussi survécu, c’est l’utilisation de la mythologie – le détournement de la mythologie – à des fins politiques. On en a de nombreux exemples à travers les siècles. Nous retiendrons celui qu’opéra Louis XIV. On sait que le Roi-Soleil s’identifiait volontiers à Apollon, et la décoration de Versailles s’en ressent :
« Certains historiens ont interprété le bassin de Latone comme une allégorie de la victoire de Louis XIV sur la Fronde, cette révolte de nobles contre le pouvoir monarchique survenue pendant l’enfance de Louis XIV. Latone, mère d’Apollon, représenterait Anne d’Autriche, mère de Louis XIV et régente au moment de la Fronde. La métamorphose des paysans en grenouilles illustrerait le châtiment réservé à ceux qui osent se révolter contre l’autorité royale. » Avec cette réserve : «  On ne trouve néanmoins trace de cette lecture chez aucun auteur et dans aucun document d’époque. De plus, l’iconographie versaillaise voulue par Louis XIV ne fait jamais référence à l’idée de parenté du roi. »
Mais, à supposer que l’intention de Louis XIV commandant le bassin de Latone ne soit pas aussi précise que certains le pensent, il n’en reste pas moins que « le bassin de Latone chante la gloire conjointe de Louis XIV et de son emblème le soleil incarné dans la figure d’Apollon. Pour asseoir cette identification, le Roi-Soleil a fait illustrer dans son jardin plusieurs épisodes de la vie du dieu-soleil. Le bassin de Latone évoque son enfance. Le Char d’Apollon, émergeant de son bassin tel le soleil de l’océan, figure le jour qui s’éveille et le lever du roi. Le bosquet des Bains d’Apollon, dont les statues étaient à l’origine dans la grotte de Thétys, représente le repos nocturne du soleil dans l’océan. L’ensemble compose une symphonie solaire dont le véritable héros n’est autre que son commanditaire, Louis XIV. »


http://unephotoesquisse.over-blog.com/article-17531936.html


Et que dire de l’actuelle campagne pour les élections présidentielles, où Benoît Hamon déclare : « Emmanuel Macron, c’est le candidat chimère, la chimère telle que décrite par Homère : un lion devant, un dragon derrière, une chèvre au milieu » (07-III-2017, meeting de Marseille) ?
 A en juger par la réaction du public, les références mythologiques font toujours florès…
                                   

Pour aller plus loin, voici trois lectures que je vous recommande :

- sur l’histoire de Rome : De la Cité à l’Empire : histoire de Rome, Yves Perrin, Thomas Bauzou, Ellipses, 1997.
- sur le règne d’Auguste : Auguste, Pierre Cosme, Perrin, coll. tempus, 2005.
- sur l’utilisation politique de la mythologie par Auguste et Ovide : Jacqueline Fabre-Serris, Mythe et poésie dans les Métamorphoses d’Ovide, Klincksieck, 1995.