lundi 24 septembre 2018

D'un château l'autre (I)...

Les Journées Européennes du Patrimoine, organisées cette année les 15 et 16 septembre, ont donné lieu une nouvelle fois à des découvertes bien intéressantes. Entre autres, celle du château Bertier, à une quinzaine de kilomètres au sud de Toulouse, sur la commune de Pinsaguel.


Le château a connu son heure de gloire du temps où la famille Bertier l'occupait, en particulier lorsqu'il fut transformé, au XVIIIe s., en château de plaisance, après avoir été un redoutable château fort implanté au confluent de l'Ariège et de la Garonne.


Après bien des vicissitudes, et alors qu'il menaçait ruine, il fut racheté en 2011 par la Municipalité de Pinsaguel, qui fit le choix, courageux pour une commune de petite taille, de le restaurer. Le chantier est loin d'être terminé, mais le château est bel et bien en cours de métamorphose.


Mais un jeu de mot facile ne suffira pas à rattacher le château à la thématique ovidienne... Car, en fait de métamorphose, ce sont celles d'Ovide qui étaient à l'honneur lors du week-end des JEP : un collectif d'artiste, ARTUEL dont je fais partie, avait investi la place pour y déployer son savoir faire métamorphique. Jugez plutôt...


Pour accueillir les visiteurs dans la cour d'honneur se dressaient des silhouettes maigres, faites de bois flotté et de céramique, et dues au travail et à l'imagination d'Agnès Gréco et de Claudine Villand : il s'agit de l'humanité en train de sortir de terre après que Deucalion et Pyrrha eurent jeté par-dessus leur épaule "les os de leur grande mère" - entendons des pierres, les "os" de la  Terre, dont nous sommes tous issus et à laquelle nous retournerons tous...


Qui l’eût cru sans la caution d’une antique tradition ? 
Les pierres perdirent alors rudesse et dureté, 
S’amollirent peu à peu, amollies, se transformèrent. 
Bientôt, elles grandissent, leur nature s’adoucit 
Et l’on distingue quelque chose ayant, pour ainsi dire, 
Figure humaine.
D’après Ovide, Métamorphoses, I, 400-405.


La balade se poursuivait par deux salles consacrées à Bacchus...

samedi 22 septembre 2018

Le domaine de Chantilly (IV)

Ne quittons pas le domaine de Chantilly sans nous attarder dans son parc : 115 hectares qui proposent, entre autres, un jardin anglais (XIXe s.), un jardin anglo-chinois (fin du XVIIIe s.), un jardin à la française (XVIIe s.), dessiné par Le Nôtre, qui le préférait à toutes ses autres créations... 
Au détour d'une allée, vous croiserez peut-être une nymphe fuyant un satyre, un centaure s'entraînant pour le prix du Jockey club ou plus probablement pour celui de Diane... Mais, plus sûrement encore, vous y verrez quelques dieux et quelques déesses...
Vénus, pour commencer, qui protège pudiquement sa pudeur ; Vénus pudique, donc...


Avec, immanquablement, à ses pieds, un dauphin, dont on sait qu'il est volontiers chevauché par Cupidon lorsque la déesse se déplace par voie maritime, allongée dans une conque poussée par les vents...
Tout à côté se dresse Eros, tenant dans sa main gauche les maigres restes de son arc.


Ce n'est évidemment pas le bambin joufflu que l'on connaît, mais plutôt le bel adolescent, l'amant de Psyché - Psyché dont la légende figure d'ailleurs dans les salles du château sous la forme de panneaux de vitrail...
Un peu plus loin, une victime de l'amour cueille des fleurs : c'est la charmante Proserpine. Pluton ne tardera pas à l'enlever pour faire d'elle son épouse et - à titre de consolation - la reine des Enfers.


Et comme pour  entretenir un jardin, il faut de l'eau, en voici, sous la haute surveillance de quelque dieu fleuve "à longue barbe"...




samedi 1 septembre 2018

Le domaine de Chantilly (III)

Aujourd'hui, rendons hommage à Vénus...
Avec pour commencer un tableau d'Annibal Carrache (1560-1609), où nous surprenons la déesse endormie au milieu d'une joyeuse troupe d'amours, plus potelés les uns que les autres et tous très occupés...


Vous vous étonnerez peut-être de la déformation du cadre, d'apparence non pas rectangulaire mais trapézoïdale. C'est que certaines oeuvres apparaissent déformées sur la photographie du fait qu'elles sont placées en hauteur. Cette disposition correspond à ce qui se pratiquait au XIXe siècle, à savoir que les tableaux étaient accrochées du sol - ou presque - au plafond et à touche-touche. Une rotation régulière permettait à chaque oeuvre de monter d'un degré et de se retrouver périodiquement à hauteur d'yeux. Conformément à la volonté du duc d'Aumale, nous voyons les quatre-vingt-cinq peintures de la galerie comme ses invités pouvaient les voir.


Voici maintenant Vénus en compagnie de Mars, tableau sorti de l'atelier de Paul Véronèse (1528-1588)...


Et Vénus anadyomène - c'est-à-dire sortant non de l'atelier mais des flots - telle que Dominique Ingres (1780-1867) l'imaginait...


C'est sur cette représentation que s'achève l'hommage...
Dommage...

vendredi 31 août 2018

Le domaine de Chantilly (II)

Promenons-nous donc un peu dans la galerie de tableaux du duc d'Aumale...
Les amateurs de Poussin (1594-1665) s'extasieront sans doute devant cette Enfance de Bacchus (1625-1635)...


Sa composition triangulaire, sa chaude lumière de fin d'après-midi, l'originalité de la représentation du dieu en adolescent déjà sûr de ce qu'il veut (il ordonne d'un geste du bras à un satyre de vider une corne de vin) et non en nouveau-né...

Du même Poussin, Numa Pompilius et la nymphe Egérie (1631-1633) :


On reconnaît Numa Pompilius, à droite, deuxième roi de Rome et donc successeur de Romulus. C'est lui qui a introduit chez les rudes bergers et brigands qu'étaient les compagnons de Romulus le respect des lois et la crainte religieuse. Et pour ce faire, il fit croire - et on le crut - qu'il était divinement inspiré par une nymphe, Egérie (ici, à gauche et de dos), avec laquelle il allait secrètement s'entretenir dans un bois, la nuit venue...
Comme il devait être facile de gouverner quand les peuples étaient dans leur enfance et croyaient volontiers aux histoires que le pouvoir leur racontait...

dimanche 26 août 2018

Une statue, une info...

Merci à Eva qui me fait parvenir la photographie d'une statue qui se dresse à Montpellier, sur le parvis de la médiathèque Emile Zola !


Au premier coup d'oeil, j'avais cru qu'il s'agissait de Pan... Mais l'inscription du socle est sans équivoque : "Dionysos, dieu du vin et de la fête, fils de Sémélé, Bacchus pour les Romains".
Les puristes me feront remarquer qu'il ne joue pas de la flûte de Pan... Certes, mais est-ce que Bacchus jouait du traverso ?...

Et voici l'info...
Le musée PAB (Pierre-André Benoit) d'Alès (30) organise jusqu'au 21 octobre une exposition intitulée "Picasso et le livre d'artiste" (https://www.ales.fr/sortir-bouger/musees/musee-pierre-andre-benoit/). Il s'agit d'une sélection de livres illustrés par Picasso, au nombre desquels figurent les Métamorphoses...
Qu'on se le dise !



dimanche 19 août 2018

Le domaine de Chantilly (I)


Si je vous demande : "Qu'évoque pour vous le nom de Chantilly ?", les réponses seront certainement très variées.
Les gourmands parleront de la fameuse crème...
Les esthètes rappelleront que le château abrite la deuxième collection de peintures anciennes de France (la première après le Louvre)...
Les bibliophiles signaleront que la bibliothèque du château est la deuxième de France pour les manuscrits enluminés...
Les amateurs de jardins n'oublieront pas son parc de cent quinze hectares et ses jardins à la française, les préférés de Le Nôtre...


Les passionnés de chevaux n'auront d'yeux que pour ses courses, son hippodrome, son manège, son musée du cheval...
Pour ma part, j'ai goûté à tout cela, mais j'ai surtout fait une belle moisson de photographies mythologiques, que je voudrais vous faire partager.

Pour commencer, une mosaïque représentant l'enlèvement d'Europe. Elle provient de la Villa de San Marco à Stabies (1er siècle ap. J.-C.).


Un peu plus loin, sur une tablette de cheminée, un cerf est dévoré par des chiens.



Il s'agit de deux pièces, l'une en bronze, l'autre en porcelaine de Sèvres (1846-1847). Elles faisaient toutes deux partie d'un grand surtout qui ornait la table du duc d'Aumale, dernier propriétaire des lieux et grand amateur de chasse. Mais rien ne nous empêche d'y voir une évocation d'Actéon dévoré par ses chiens... Les deux premiers qui se sont jetés sur lui se nommaient Mélanchaetès et Thérodamas...

Mélanchaetès, d’abord, le blesse dans le dos, puis vient
Thérodamas ; Orésitrophos s’accroche à l’épaule ;
Ils sont partis derniers mais, en coupant par la montagne,
Ils arrivent premiers et le retiennent. Cependant,
Le reste de la meute les rejoint, plante ses crocs :
Son corps n’est plus qu’une plaie. Il pousse un gémissement
Qui n’est pas celui d’un homme, et n’est pas non plus celui
D’un cerf ; les monts qu’il fréquentait résonnent de ses plaintes.
Genoux fléchis, tel un suppliant, il semble implorer ;                                  
Il tend à l’entour, faute de bras, sa face muette,
Mais les chasseurs, comme avant, excitent la meute avide
En cherchant des yeux Actéon, qu’ils n’ont pas reconnu,
Et, le croyant absent, ils crient à l’envi « Actéon »,
Qui, à ce nom, tourne la tête. Ils se plaignent qu’il soit
Absent et tarde à venir voir la proie qui s’offre à eux.
Absent, il voudrait l’être, et il est là ; il voudrait voir
Ses chiens mordre cruellement sans l’éprouver aussi.
Ils l’encerclent de partout, plongent en lui leur museau
Et lacèrent leur maître dont l’apparence les trompe.                                   
Tant que mille blessures n’eurent pas causé sa mort,
La colère de Diane, dit-on, ne retomba pas.

D'après Ovide, Métamorphoses, III, 232-252



jeudi 19 juillet 2018

Soirée lyrique sur France Musique

Je vous propose de passer des arts plastiques à la musique pour une soirée lyrique...
Il s'agit de la retransmission par France Musique d'Issé (1697), pastorale héroïque d'André Cardinal Destouches (1672-1749).

https://www.francemusique.fr/emissions/le-concert-du-soir/isse-d-andre-cardinal-destouches-en-direct-du-festival-radio-france-occitanie-montpellier-63378

France Musique rappelle opportunément que cette oeuvre baroque a été inspirée par un passage des Métamorphoses. Effectivement, le livre VI , v. 124, résume en ces termes l'aventure - ou la mésaventure - de la jeune Issé :
"Sous les traits d'un berger, il [Apollon] séduisit la Macaride Issé."
Et nous n'en saurons pas plus sur les amours du dieu et de la fille de Macarée...
Cette brève mention est faite par Ovide à l'occasion du récit de la compétition qui opposa la déesse Minerve et la tisserande Arachné, une mortelle. Minerve représenta sur sa tapisserie les grands dieux en majesté, et Arachné sur la sienne les mêmes grands dieux pris en défaut, autrement dit occupés à courir la nymphe ou la mortelle... Cela constituait une discrète critique du pouvoir.
Lors d'une représentation à la cour de Louis XV en 1741-1742, le peintre chargé des décors est François Boucher. Sans doute la fable l'a-t-elle inspiré puisqu'en 1750, il représente Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé  sur une toile actuellement conservée au musée de Tours.


Qui y voit une critique du pouvoir ?...

dimanche 15 juillet 2018

Ovide et Picasso

Il fallait bien qu'un jour ou l'autre la route de Picasso croise celle d'Ovide... En ce bel été, c'est chose faite au musée Fabre de Montpellier, où est programmée jusqu'au 23 septembre une exposition consacrée à Picasso.



On y trouve, entre autres, un taureau en terre cuite qui pourrait tout à fait être le taureau de Crète, celui qui Neptune avait offert à Minos pour qu'il le lui sacrifie et dont s'était éprise Pasiphaé.


Taureau debout (1947-1948)
Terre de faïence blanche, décor rapporté et peint aux engobes et aux oxydes
Musée Picasso, Antibes
 "Cette céramique zoomorphe associe la tradition de la céramique espagnole - le botijo de la région de Guadix près de Grenade - à celle de l'Antiquité. Elle rappelle les figures noires et rouges de la céramique athénienne que Picasso découvrit lors de ses multiples visites au Louvre. Picasso imagine des fantaisies qu'aucun potier n'ose réaliser à l'époque. Deux techniques sont employées ici : le corps de l'animal est tourné, le volume est constitué de deux formes de vases inversés tandis que le tête et les cornes sont modelées à la main. Ainsi, les formes opulentes de ce taureau contrastent avec la petite tête à l'expression apeurée, presque humaine."

On y trouve une Femme dans un fauteuil qui pourrait tout à fait être une" Daphné de la modernité" (j'emprunte la formule au cartel qui accompagne l'oeuvre...).


Femme dans un fauteuil (3-VII-1946)
Huile et gouache sur toile
Musée national Picasso, Paris
"Cette nouvelle variation sur le thème de Femme assise met en scène Françoise Gilot, la nouvelle compagne de Picasso.L'oeuvre s'inspire de la Femme-fleur réalisée deux mois avant : "Il y a en vous l'élan d'une plante au printemps et ne ne sais comment exprimer cette idée que vous appartenez au règne végétal" lui avait-il déclaré. Ici, la figure et l'espace sont simplifiés, rappelant certaines figures des vases grecs de style géométrique. Deux cercles - seins-feuillles - décorent le corps-tige. Les tons lilas et lavande du corps répondent au jaune bouton d'or et noir qui construisent l'espace et le fauteuil. Autour du visage, des formes ondulantes s'épanouissent comme autant de pétales encerclant un bouton de fleur, ils évoquent la métamorphose végétale subie par cette Daphné de la modernité."

Evidemment, tout ceci n'est pas explicitement ovidien, je vous l'accorde. Mais vous m'accorderez que ce qui suit l'est ...


Eh oui !... Picasso a illustré une édition des Métamorphoses (Skira, Lausanne, 1931). En voici quelques bonnes pages...

Chute de Phaéton avec le char du soleil (20-IX-1930)
Eau-forte
Musée national Picasso, Paris



Lutte entre Térée et sa belle-soeur Philomèle (à plus proprement parler, il s'agit du viol de Philomèle par Térée)
Première planche
Eau-forte
Musée national Picasso, Paris


Lutte entre Térée et sa belle-soeur Philomèle (même remarque)
Deuxième planche
Eau-forte
Musée national Picasso, Paris

J'ai dans ma bibliothèque une édition des Métamorphoses illustrée par Picasso - dans une traduction de l'incontournable Georges Lafaye. Il ne s'agit malheureusement pas de l'édition originale, mais rien n'empêche qu'à l'occasion nous la feuilletions ensemble...



mercredi 4 juillet 2018

De retour de Puysségur (III)

Pour terminer cette balade, je vous propose deux temps forts...
Le premier nous fait retrouver Ovide, juché sur son piédestal, au beau milieu de la place Ovidiu...


S'il aperçoit l'homme qui porte un bouquet de fleurs, peut-être se remémore-t-il le temps des amours - le temps des Amores - passé dans une insouciance désormais bien éloignée...

Et cet homme, seul sur la plage au milieu de ses livres, est-ce notre poète occupé à relire et corriger ses oeuvres ?
Je vous laisse en juger...


Le deuxième temps fort est une vidéo réalisée par Philippe Gal, un musicien qui était du voyage à Constanta. Pour la découvrir, il suffit de cliquer sur ce lien :
Bon voyage musical !...

PS : N'hésitez pas à vous rendre à Puysségur (31480) pour y découvrir la soixantaine de photographies de l'exposition (dans la forêt du camping Namasté, tous les jours jusqu'au 7 octobre).

mardi 3 juillet 2018

De retour de Puysségur (II)

En continuant, nous tombons sur la photo suivante...


Ne vous fait-elle pas penser à ces vers des Tristesses, où Ovide évoque le printemps à Tomes :
" Voici que filles et garçons cueillent joyeusement
     La violette des champs, qui pousse toute seule".
Certes, l'heure de la cueillette n'est pas encore venue, ou peut-être n'y a-t-il plus de violettes...
Mais je gage que les filles et les garçons de Constanta ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux de Tomes...


Nous voici maintenant sur le forum, non celui de Rome mais celui de Tomes.


Comment y réglait-on les différends ? Comme ceci :
"On rend aussi une injuste justice à coup d'épée
     Rigide et souvent on s'écharpe en plein forum".

Tomes était aussi un port. Voici la version moderne du plus grand port céréalier d'Europe...



Mais cette silhouette qui se détache sur le miroir du bassin, ne serait-ce pas un lointain descendant d'Ovide ?... Ecoutons-le plutôt...

"Quelques bateaux, cependant, vont naviguer jusqu’ici ;
            Un vaisseau étranger mouillera dans le Pont.
Vite, je cours à la rencontre d’un marin. « Salut !
            Que viens-tu faire ici ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? »
Le plus probable est qu’il viendra d’une proche région,
            Qu’il aura navigué sans danger, en voisin.
Un Italien fait rarement pareille traversée,
            Vient rarement croiser sur ces côtes sans port.
Cependant, s’il connaît le grec, s’il connaît le latin,
            – J’aurais plus de plaisir que ce soit le latin – 
 (On peut aussi jusqu’ici faire voile, avec un bon
            Notus, depuis le Bosphore et la Propontide),
Qui qu’il soit, il peut, de mémoire, rapporter ce qui
            Se dit, alimenter les bruits, les propager."


Parfois, Ovide recevait une lettre de son épouse... Peut-être lui apparaissait-elle alors...



"Lorsque tu reçois une nouvelle lettre du Pont,
            Pâlis-tu, et ta main tremble-t-elle en l’ouvrant ?"


Voilà une photo qui donne envie de proposer une version des Tristesses où le texte serait accompagné d'images de notre temps mais assez poétiques pour renvoyer au temps passé.
Qui s'y lance ?...