mardi 13 juin 2017

La tragédie de Myrrha (III)


Les pieuses mères célébraient les fêtes de Cérès ;
Chaque année, vêtues de blanc, elles offrent les prémices
De leur récolte –  des tresses d’épis –, et, de neuf nuits,
Elles s’interdisent tout rapport, tout contact avec
Un homme. Cenchréis, l’épouse du roi, est l’une d’elles,
Et, en leur compagnie, elle prend part aux saints mystères.
Le lit nuptial n’accueillait plus l’épouse légitime
Et le roi avait bu. La trop zélée nourrice lui
Apprend qu’on l’aime –  et c’était vrai – mais lui donne un faux nom,
Puis loue la beauté de la jeune fille. « Quel âge a-t-elle ?
– Comme Myrrha. » Le roi la fait quérir à la nourrice
Qui, de retour à la maison s’écrie : « Réjouis-toi,
Mon enfant ! Nous triomphons ! » Un triste pressentiment
Interdit à Myrrha d’être tout à sa joie ; pourtant,
Elle est contente, aussi, tant son esprit est partagé.
A l’heure où tout se tait, le Bouvier, entre les Trions,
Avait, par le timon, infléchi le cours du Chariot.
Myrrha s’avance vers son crime. La lune d’or s’enfuit
Du ciel, de noirs nuages offrent une cache aux astres.
La nuit n’a plus ses feux : Icarius se voile la face,
Suivi d’Erigoné, sacrée pour son amour filial.
Par trois fois elle trébuche, triple appel à rentrer,
Et le hibou funèbre ulule, lugubre présage.
Elle avance, et la nuit ténébreuse atténue sa honte.
Tenant d’une main sa nourrice, elle cherche de l’autre,
A tâtons, son chemin dans le noir. Voilà le seuil de
La chambre, et la porte, qu’elle ouvre, et la voilà conduite
A l’intérieur. Genoux tremblants, jambes fléchies, livide,
Exsangue, elle sent son courage, à chaque pas, faiblir.
Plus elle est proche de son crime et plus il l’horrifie.
Elle regrette son audace et voudrait repartir
Sans être reconnue. La vieille l’entraîne, hésitante,
La fait monter au lit et la remet à Cinyras
— « Prends-la, elle est à toi » —, réunissant leurs corps maudits.
Il prend dans son lit profané le fruit de ses entrailles.
La vierge a peur ; il dissipe ses craintes, il l’encourage.
Peut-être même lui dit-il « ma fille », vu leur âge,
Lui dit-elle « mon père », ajoutant les mots à la chose.
Elle sort du lit paternel enceinte, avec, dans son
Ventre maudit, le fruit criminel de son sacrilège.

D'après Ovide, Métamorphoses, X, 431-470.

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