mercredi 7 juin 2017

La tragédie de Myrrha (I)


Mais au fait, qui est Myrrha, que j'ai cru reconnaître en cet arbre du Parc aux bambous ? Voici, en quelques épisodes, sa triste histoire...

On eût pu compter Cinyras
Parmi les gens heureux, s’il fût resté sans descendance.
Pères, filles, éloignez-vous : je vais chanter des horreurs ;
Ou, si mes vers ont du charme pour votre esprit, ne vous
Fiez pas à ce que je dis, ne croyez pas aux faits ;
Ou, si vous y croyez, croyez aussi au châtiment.
Si, toutefois, la nature autorise un tel forfait,
Heureux soit le mont Ismarus, heureux aussi l’endroit
Du monde où nous vivons de se trouver loin des régions
Qui ont vu s’accomplir pareil crime. Quant à l’Arabie,
Qu’elle abonde en amome et porte arbre à encens, costus,
Ciname et bien d’autres fleurs pourvu qu’elle porte aussi
La myrrhe : on a trop cher payé cette espèce nouvelle.
Cupidon lui-même nie que ses flèches t’aient blessée,
Myrrha, que ton crime puisse être imputé à ses torches.
Avec un brandon du Styx et des serpents venimeux,
L’une des trois sœurs te l’inspira. Haïr son père est
Criminel ; l’aimer ainsi, pire encore. De toute part,  
La fleur de la noblesse te courtise et la jeunesse
D’Orient se dispute ton lit. Tu ne manques pas
De choix, Myrrha, parmi tant d’hommes : ne manque pas ton choix.
Bien consciente, elle combat son ignoble passion.
« Où m’entraîne mon esprit ? Qu’ai-je entrepris ? se dit-elle
Dieux, je vous en supplie, droits sacrés des parents, piété
Filiale, écartez ce sacrilège, empêchez mon crime,
S’il s’agit bien d’un crime : on dit que la piété filiale
Ne condamne pas cette union ; pour tous les animaux,
S’accoupler est licite : nulle honte à ce qu’un taureau
Monte sa fille ou qu’une pouliche épouse son père,
Le bouc saillit les chèvres qu’il a engendrées, l’oiseau
Conçoit de la semence de celui qui l’a conçu.
Heureux qui peut se le permettre. L’homme s’est inquiété
D’édicter de méchantes lois : ce qui est accordé     
Par la nature est défendu par des arrêts jaloux.
On dit pourtant qu’il est des peuples où s’unissent fils
Et mère, fille et père : amour et piété s’y renforcent.
Hélas ! Que ne suis-je née là-bas ! Etre née ici
Est un malheur accablant. Mais à quoi bon ressasser ?
Fuyez espoirs interdits ! S’il est digne d’être aimé,
C’est comme un père. Si, donc, je n’étais pas la fille du
Grand Cinyras, avec Cinyras je pourrais m’unir.
Etant déjà mon père, il ne peut être mien ; ce lien
Me perd : j’atteindrais mieux mes fins si j’étais étrangère.
Je voudrais m’éloigner, quitter le sol de ma patrie
Pour éviter un crime ; mon funeste amour me retient.
Demeurons pour voir Cinyras, le toucher, lui parler,
L’embrasser, puisqu’il ne m’est pas permis d’aller plus loin.
Aller plus loin... Que peux-tu donc espérer, fille impie ?
Tous ces droits que tu confonds, tous ces noms... T’en rends-tu compte ?
Etre rivale d’une mère, et maîtresse d’un père !
Etre appelée sœur de son fils, et mère de son frère !
Ne crains-tu donc pas les sœurs aux cheveux de noirs serpents ?
Les criminels les voient pousser rageusement leur torche
Vers leurs yeux, vers leur visage. Mais toi dont le corps est pur,
Garde pur ton esprit ; ne souille pas par un inceste
Le pacte qui nous lie avec la puissante nature.
Le voudrais-tu que tu ne le pourrais : c’est un bon père,
Il est de bonnes mœurs. Que n’est-il aussi fou que moi ! »

D'après Ovide, Métamorphoses, X,  298-355.

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