Je vous propose aujourd'hui le plaisir de lire Hélène Vial, maître de conférences HDR de latin à l'université de Clermont Auvergne, qui en propose le compte rendu suivant.
Bonne lecture !...
Avec Ovide. Le bonheur de lire un classique
Gardini (N.), Avec Ovide. Le Bonheur de lire un classique,
traduit de l’italien par D. Goust, avec la collaboration d’I. Gabbani. –
Paris : Éditions de Fallois, 2019 – 240 p. – ISBN: 9782877069960
S’ouvrant
sur la célèbre phrase de Montaigne « Le premier goût que j’eus aux
livres, il me vint du plaisir des fables de la Métamorphose d’Ovide »
(Essais, I, 25, « De l’institution des enfants »), l’ouvrage de Nicola
Gardini est, comme le dit son titre, une déclaration d’amour conjointe à
Ovide et aux « classiques » qui, comme lui, continuent après des
siècles, des millénaires, à changer la vie de leurs lecteurs. C’est
avant tout et après tout un plaidoyer pour la lecture de ces œuvres, en
même temps qu’une recherche de ce qui fait d’elles, précisément, des «
classiques ». Et l’exemple choisi pour cela est celui, emblématique
entre tous aux yeux de l’auteur, de la poésie ovidienne, qui, depuis
plus de deux mille ans, n’a jamais cessé de susciter la fascination. Une
véritable enquête est menée, qui conduit graduellement à la notion
séduisante et convaincante d’incertitude considérée comme centre de
gravité de la poétique ovidienne. Cette enquête, qui regorge d’idées
justes et de belles formules, se lit aussi facilement qu’un bon roman,
et nous emporte, même si nous ne sommes pas toujours d’accord avec ses
prises de position très subjectives et assumées comme telles. C’est
qu’il n’y a pas là une étude universitaire, mais un parcours très
personnel par rapport auquel les lectures critiques, présentées dans les
remerciements finaux comme « nombreuses », ont été faites a posteriori
et n’ont « pas […] influencé <l’>exposé ». Un esprit chagrin
serait tenté de dire que l’ouvrage aurait gagné en rigueur et en
richesse à ce que ces lectures précèdent et nourrissent, même
indirectement, l’écriture ; mais ce n’est pas cette pente que nous
suivrons, et nous prendrons ce livre tel qu’il est, avec ses 18
chapitres qui, en toute liberté et originalité, cheminent partiellement «
à rebours », partant des œuvres écrite par Ovide à la fin de sa vie,
sur les bords de la mer Noire où il était relégué, pour aller vers les Métamorphoses
en passant par les premières œuvres, l’ensemble reposant sur « cinq
représentations paradigmatiques, correspondant aux parties principales
du livre : l’exil, le modèle érotique, la construction de l’auteur, la
langue (comme écriture et comme construction des signifiés) et les
métamorphoses. »
Ovide est-il vraiment, comme le dit le
titre du premier des dix-huit courts chapitres composant le livre, « Le
classique des classiques » ? Oui, si, comme le fait Nicola Gardini, on
prend pour critères du classicisme le succès et la fortune de l’œuvre.
D’emblée se dessine ce qui peut, tout au long de l’ouvrage, être
discutable : des raccourcis de pensée, des formulations un peu convenues
et/ou naïves, auxquels s’ajoutent ici et là des lourdeurs de traduction
et quelques fautes. Mais se dessine aussi ce qui en rend la lecture
très stimulante : un grand sens de la formule, une connaissance
profonde, intime, de la poésie ovidienne, et un point de vue
surplombant, qui dès le début associe une appréhension très juste de ce
qui fait la fécondité inépuisable de cette poésie et la volonté de
réfléchir, au-delà d’elle, sur les humanités. Le point de départ et
d’arrivée sera les Métamorphoses, mais toutes les œuvres
principales seront prises en compte, et le lien entre elles. Ce sera un «
corps à corps », à lire en y cherchant « sensibilité », « mémoire » et «
admiration », et en y percevant, du début à la fin, une volonté
pédagogique, au meilleur sens du terme. En variant les points de vue,
cet « essai littéraire » tournera autour de son objet pour s’approcher
peu à peu de ce qui en fait la puissance. Balayant les clichés sur Ovide
et, en même temps, sur les langues, littératures et cultures anciennes,
il montrera en quoi l’œuvre sur laquelle il se penche est la source
d’une « révolution ». Il se voudra, ambitieusement, « une anthologie
essentielle », susceptible de donner au lecteur l’envie d’aller plus
loin.
Qu’est-ce qu’un classique ? demande encore le chapitre 2 (« À l’écoute
des anciens »). Un édifice, répond-il ; « une façon de penser et de
raconter le monde », qui, en se fondant sur la variété et en nous
parlant depuis un horizon lointain, nous apprend la « prise de distance
». L’auteur que nous accueillons est « un survivant », « un étranger »,
et si quelques banalités sont ici énoncées sur l’entrée en contact avec
un autre monde que le nôtre et l’enrichissement qui en découle, il est
utile de redire l’importance de l’altérité radicale des « classiques »
par rapport à notre monde abreuvé de nouveauté et de consommation.
Devant un « classique », c’est nous qui sommes les barbares, dit Nicola
Gardini, ce qui est une idée très ovidienne. Quelle est la « source
cachée » qui fait l’unité et, par là, la force de la poésie d’Ovide ?
L’incertitude, répond l’auteur, en une magnifique idée qui va de pair
avec la perception très juste du caractère arborescent de l’œuvre. Bien
sûr, cette idée est discutable, et l’on peut lui opposer les certitudes
bien réelles qui transparaissent constamment chez Ovide : celle selon
laquelle le monde est régi et rendu totalement mouvant et versatile par
les passions ; celle selon laquelle l’œuvre d’art peut vaincre la mort.
Mais il y a une force intellectuelle réelle dans ce mot d’« incertitude
», et l’on choisit de se laisser porter.
Or, c’est à Constanța que l’on se
retrouve. Le chapitre 3, qui porte comme titre le nom actuel de cette
ville qui, au temps d’Ovide, se nommait Tomes (Tomis) et où il
fut relégué en 8 après J.-C., nous fait voyager avec Nicola Gardini dans
la Roumanie de l’immédiat après Ceaucescu, lors d’un séjour aux raisons
à la fois amoureuses et ovidiennes. L’approche personnelle et sensible
choisie montre ici tout son intérêt : c’est par sa propre histoire, et
par le beau récit de son propre itinéraire en Roumanie, avec comme
dernière halte Constanța, que l’auteur nous conduit à Ovide, et à Ovide
relégué. Nous le suivons, même si ici la chronologie des œuvres est
présentée étrangement, si là une formulation concernant les Métamorphoses
semble contredire l’hypothèse initiale ou si, plus globalement, le
parallèle implicite puis explicite entre les deux tyrans et les
individus qu’ils ont persécutés nous semble excessif.
Le chapitre 4 (« Comme Médée ») nous
présente Constanța/Tomes et se dirige avec justesse vers la figure,
associée à cette région, de Médée, « charnière de l’imagination
ovidienne ». Avec, comme dans l’ensemble du livre, une abondance de
citations bien choisies et bien exploitées, l’auteur démontre l’affinité
entre Ovide et Médée, une « dissidente » qui choisit le désir – et la
magie – contre la pietas et le pudor et, ce faisant, s’isole « affectivement et politiquement » dans sa pratique de l’ars et du carmen.
Un passionnant passage conclut ce chapitre, évoquant la statue d’Ovide
que l’on peut encore aujourd’hui voir à Constanța et dont le sculpteur,
un « résistant » lui-même, voyait Ovide comme incarnant « la
protestation, l’indépendance et la fermeté morale ».
Médée est une grande figure de la colère,
Ovide aussi sans doute, et l’on ne s’étonne pas que le chapitre 5
s’intitule « Une vie contre la colère », qui entrelace des lectures des Tristes, des Amours ou des Fastes
pour réfléchir au devenir de l’élégie, réinventée par la relégation en
même temps que s’invente, dans les dernières œuvres d’Ovide, l’écriture
autobiographique. Celle-ci fait l’objet d’une fine analyse portant sur
le choix ovidien de la désobéissance, non seulement dans le choix d’être
poète malgré la volonté paternelle, mais aussi dans le rapport au
modèle virgilien ou encore, bien sûr, à l’autorité impériale. Le
chapitre est toutefois un peu plat, suivant sans vraiment l’analyser le
fil de Tristes, IV, 10.
Cette impression demeure à la lecture du
suivant (« P. Ovidius Naso »), réflexion assez banale sur
l’auto-nomination et sa signification, et en particulier sur l’emploi de
Naso tout au long de l’œuvre. Il y a, dit très justement
l’auteur, « une véritable “politique” du nom propre » chez Ovide.
Énoncer le nom Naso, c’est parler de l’écriture ; alors, à
Tomes, cette énonciation devient « expression d’un vide » : quand règne «
la menace de la totale dépersonnalisation », le nom est celui « du
poète exclu », un « nom asocial », un « zombie onomastique ». La «
séparation du nom et du corps » est actée. Mais dire Naso,
c’est aussi dire – et toute l’analyse est ici à nouveau pénétrante et
belle – « la pérennité de la poésie face au monde », affirmer que
l’écriture est le « seul point ferme dans l’incertitude répandue
alentour. »
Dans le chapitre 7 (« Le paysage désolé
»), évoquant la douceur de la fin de l’été à Constanța, l’auteur pense
aux descriptions terribles de Tomes. La fiction est, dit-il sans grande
originalité, « une vérité », et ce qu’exprime le « paysage désolé » des Tristes et des Pontiques
est avant tout « une situation éminemment anti-humaine ». Comme
souvent, ce point de départ un peu ordinaire conduit à une réflexion
juste et très bien écrite sur la manière dont ces recueils réinventent
la littérature antique du paysage en créant une pleine concordance entre
la description des lieux et l’expérience de la relégation comme « gel
intérieur », comme « exclusion de la civilisation romaine et […] fin de
la civilisation tout court. », l’individu et la romanité étant
également vulnérables quand se produit « la plus terrible, la plus
inconcevable métamorphose qui puisse arriver à un fils de Rome » :
devenir un étranger, un barbare.
À ce stade du livre émerge de manière de
plus en plus explicite le cœur de sa démonstration, qui est l’audace
subversive de l’œuvre ovidienne. Cette audace est d’abord, dans le
chapitre 8 (« Impiété des amants »), celle de L’Art d’aimer par
rapport au pouvoir augustéen et à ses symboles, qu’Ovide inverse
jusqu’au « blasphème ». L’analyse des œuvres de jeunesse comme «
trahison contre les valeurs traditionnelles de jadis » est très
convaincante. Fastes et Métamorphoses ont-ils, en
revanche, été écrits dans un « but réparateur » ? Une fois encore, le
risque apparaît d’une contradiction interne au livre, qui par ailleurs
affirme, au moins pour les Métamorphoses, une dissidence profonde. D’ailleurs, dans ce même chapitre, l’auteur écrit avec raison qu’« en condamnant L’Art d’aimer Auguste condamne en fait les récentes Métamorphoses » et que cela explique que la condamnation d’Ovide ait eu lieu si longtemps après la parution de L’Art d’aimer.
Ovide annonce Don Juan, affirme le
chapitre 9 (« L’impuissance ») : « agresseur de l’ordre organisé »,
comme lui, il manifeste dès les Amours ce qui éclatera dans les Métamorphoses
: le règne « d’une incertitude radicale, insoluble », incertitude
qu’incarne l’amour, y compris du point de vue des genres littéraires.
Dès sa jeunesse, Ovide dissout donc les hiérarchies, fait coexister les
contraires, affirme « la discordance fondamentale des sensibilités
individuelles » et sa conséquence, la contradiction présente au cœur de
tout. Là réside « l’“immoralité” d’Ovide – celle qui l’aurait condamné à
l’exil » : dans cette poétique de l’éphémère, et dans le fait de bâtir
sur cette poétique, avec les Métamorphoses une épopée.
Le chapitre 10 (« L’auteur profond »)
prend un détour – au moins apparent – par rapport aux développements
précédents avec une réflexion très proustienne, et où Proust est
d’ailleurs présent, sur l’œuvre et la vie – réflexion dans laquelle
l’auteur évoque aussi, en parallèle, son rapport avec sa propre œuvre.
Nous n’apprenons rien en lisant que l’on n’écrit jamais sa vie, que
celle-ci ne peut être que vécue et non écrite et qu’un texte est une
construction. En revanche, l’idée est très juste selon laquelle il faut
croire ce que l’auteur dit du rapport entre son œuvre et sa vie ; on
adhère volontiers à la vision d’Auguste comme « un lecteur proustien »
qui voit dans les textes d’Ovide « l’incertitude, la dissidence, la
désobéissance » ; et on goûte la pertinence de l’expression « style
tardif » à propos de l’Ovide de la relégation – on l’étendrait sans
peine à tout Ovide –, autrement dit au « caractère inactuel des esprits
inclassables, des artistes qui ne sont pas au diapason de leur temps
parce qu’ils anticipent les temps futurs ».
Quelle fut l’erreur d’Ovide ? Le chapitre 11 (« L’erreur ? ») est une réflexion pleine de finesse sur le mot error,
socle de toute une poétique dans les dernières œuvres et, selon
l’auteur, d’une prise de pouvoir symbolique du poète sur le Prince en
même temps que de l’affirmation, foncièrement « anti-épique », d’un «
processus de dés-héroïsation et de dérision sémantique », et d’une
incertitude centrale, absolue, existentielle. Ovide n’a-t-il, pour
autant, « jamais eu d’objectif assuré » ? Il est au contraire
possible de penser qu’il a eu toute sa vie celui d’être en dissidence en
disant justement l’incertitude et son corollaire, la métamorphose.
Nourri de très belles citations, le chapitre 12 (« La langue tranchée ») explore le lien entre la littérature et la perte de la parole, ou la peur de cette perte. De très grands personnages des Métamorphoses passent ici, Philomèle, Cyané, Io, Pyrame et Thisbé, Orphée, qui, privés de leur voix, parviennent à s’exprimer malgré tout. La relegatio rejoue cette perte en une nouvelle métamorphose – qui est aussi le passage du latin à la langue gétique – et l’écriture y est alors une « dernière résistance ».
Nourri de très belles citations, le chapitre 12 (« La langue tranchée ») explore le lien entre la littérature et la perte de la parole, ou la peur de cette perte. De très grands personnages des Métamorphoses passent ici, Philomèle, Cyané, Io, Pyrame et Thisbé, Orphée, qui, privés de leur voix, parviennent à s’exprimer malgré tout. La relegatio rejoue cette perte en une nouvelle métamorphose – qui est aussi le passage du latin à la langue gétique – et l’écriture y est alors une « dernière résistance ».
Dans le droit fil du précédent, le
chapitre 13 (« L’empire de l’écriture ») déploie une réflexion très
personnelle, et très autobiographique, sur le geste d’écrire, qui engage
« la personne, toute la personne », et qui, chez Ovide
relégué, « est action », « remplace le corps qui l’a produite », devient
« art immatériel de la représentation de soi-même » et « est une forme
du désir, le désir étant la substance du moi ovidien ». L’analyse est
ici riche et complexe, entre le rôle fondamental de l’écriture dans les
œuvres amoureuses, le parallélisme entre les variations de l’écriture
sur la cire, matériau par excellence de la métamorphose et de la
créativité, et le motif de la transformation, l’ambiguïté subversive du
langage dans l’écriture ovidienne, la magie de l’écriture épistolaire et
les « mots de la fin » qui émaillent et finalement constituent les
poèmes. « Écrire, c’est défier l’ordre établi », et Ovide le fait sans
héroïsme, sans « sens de la mission, d’une direction assurée, d’un
impératif suprapersonnel », ce qui l’empêche d’« adopter le modèle de
l’épopée ». C’est discutable : les Métamorphoses sont bel et
bien une épopée, certes hors norme, et en « chant<ant> le désir –
souvent autodestructeur – des individus » Ovide atteint l’universel et
se place donc au-delà des peuples, et pas (ou pas seulement) en-deçà.
Le chapitre 14 (« L’esprit ») est, à
l’image peut-être de son objet, le plus insaisissable et flou : partant
d’une considération assez convenue sur le lien entre ce que nous voyons
et la réalité, il évoque l’importance des « créations mentales » dans
les dernières œuvres et s’attache aux « phénomènes magiques d’expansion,
de superposition et de confusion spatiotemporelle, donnant lieu à un
véritable “fantastique” », que, dès les Héroïdes et jusqu’aux Tristes et aux Pontiques,
produit l’« incertitude ovidienne ». C’est là le « code » de l’œuvre,
la source de l’unité et de la grandeur de cette « machine rhétorique qui
ne cesse de disposer différemment certaines images primaires selon des
configurations nouvelles ».
Ce sont les Métamorphoses qui, à
partir du chapitre 15 (« Le bouclier d’Euphorbe »), sont l’objet
essentiel de la lecture. Le point de départ est ici le discours de
Pythagore au livre XV, et l’auteur écarte à juste titre tous les
ancrages philosophiques pour en revenir au seul principe de
l’incertitude, seule « philosophie » d’Ovide. Mais la réincarnation
est-elle un « symbole […] du concept de métamorphose » ? Ovide fait-il «
place nette de l’a-b-c de la philosophie », et notamment de l’être au
sens platonicien ? Le devenir est-il chez lui triomphe de la variante
sans qu’il y ait jamais d’« original » ? Le monde tel qu’il le conçoit
est-il sans « aucune axiologie, aucune hiérarchie » ? Et celui des Métamorphoses
est-il « une somme […] de fragments désormais sans valeur », dans une
narration au « cours erratique » auquel le discours de Pythagore
donnerait « un finale épique » venant corriger in extremis « un
récit anti-épique », un « parfait échec » en tant qu’épopée ? Tout cela
est très discutable, et tout n’a pas la même valeur dans un univers
poétique qui plonge dans le tréfonds des êtres, donc de l’être, et où
règnent les passions et, en elles et au-dessus d’elles, la passion de la
poésie – un univers qui a par là même une unité organique, absolue,
véritablement épique et même rénovant de fond en comble l’épopée. Tout
ce que ce chapitre présente comme un échec de la part d’Ovide peut donc
au contraire être perçu comme sa plus grande réussite.
Peut-être est-ce pour cela que le
chapitre 16 (« Transformation et théorie du signe »), consacré à la
métamorphose, autrement dit à l’essentiel, manque partiellement sa
cible, malgré de belles expressions (« une interchangeabilité diffuse,
fondamentale sous toutes les différences », « le caractère transitif,
hybride, la confusion de réalités inconciliables » ou encore « la
métamorphose refonde le langage en mettant au jour un contenu secret »)
et des remarques pertinentes sur la manière dont Ovide dépasse ses
sources hellénistiques (« C’est à lui que l’Occident doit
l’idée de métamorphose ») ou sur le rapport entre signifié et signifiant
dans les récits ovidiens de métamorphoses. Le parcours à travers la
variété de ce qui provoque la métamorphose et de ce qui en découle reste
assez convenu, et lesté d’une inutile dimension morale.
Le chapitre 17 (« Imago ») est plus stimulant : fondé sur la présence récurrente, chez Ovide et en particulier dans les Métamorphoses, de certains mots du registre de l’image (facies, figura, forma, imago, simulacrum, species
notamment), il définit un « grand poème des images » et « une grande
théorie des images » sous forme d’histoires, avec comme point nodal,
bien sûr, l’épisode de Narcisse au livre III. Si les remarques sur le «
halo évanescent » de ces mots n’apportent rien à l’analyse, en revanche
l’idée d’une « réalité virtuelle », entièrement faite d’oppositions,
qui, issue d’une longue tradition, aurait été revivifiée par Ovide est
extrêmement intéressante.
La conclusion (chapitre 18, « Éloge des
classiques en guise d’adieu ») boucle la boucle : résumant le livre en
en reprenant la méthode et les enjeux, elle réaffirme l’importance
centrale de l’incertitude dans l’œuvre ovidienne, la définissant comme «
une force vitale » qui nous conduit à aimer le changement, l’ambiguïté,
et à nous émerveiller. Louant la « gravité profonde » d’Ovide, il
risque une dernière fois le contresens en le représentant « enfermé à
jamais dans un laboratoire au milieu de matières précieuses, de coulées
incandescentes et d’effluves enchanteurs », description très éloignée de
la liberté et de la créativité novatrices d’un poète qui, au contraire,
ne s’est jamais laissé enfermer dans quoi que ce soit. On est un peu
déçu par cette présentation, ainsi que par les évidences finales sur le «
classique » qui, en nous faisant expérimenter l’éloignement, « stimule
le dialogue entre passé et présent », nous donnant une « sensation de
proximité, et même de contemporanéité » dans le même temps qu’« il est
lui » et que « nous sommes nous », sa lecture nous étant alors
nécessaire pour « rest<er> nous-mêmes ». Il n’en reste pas moins
que le livre est, dans son ensemble, un cheminement éclairé et
éclairant, nourri d’un grand discernement dans le choix des textes et
d’un style élégant, à travers une œuvre profondément aimée et intimement
connue.
Hélène Vial,Maître de conférences HDR de latin – Université Clermont Auvergne
Avec Ovide. Le bonheur de lire un classique, in : Actualités des études anciennes, ISSN format électronique : 2492.864X, 15/06/2020, https://reainfo.hypotheses.org/21296.
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