Ovide
a donc bel et bien été métamorphosé.
La
première des raisons pour lesquelles on peut le soutenir est à chercher dans le
livre II des Tristes. Ovide y fait
lui-même implicitement la comparaison entre son cas personnel et celui d’un des
personnages les plus fameux des Métamorphoses.
Voici en quels termes :
Actéon
a vu Diane nue sans rien préméditer ;
Il
n’a pas pour autant échappé à ses chiens.
Avec
les dieux, on expie même le fruit du hasard :
N’avoir
pas fait exprès ne vaut pas leur pardon.
D’après Ovide, Tristes, II, 105-108
Ovide
s’identifie donc avec Actéon, le chasseur devenu cerf, devenu la proie de ses
chiens parce qu’il avait commis un acte sacrilège, certes sans préméditation,
mais sacrilège quand même : il avait vu la déesse Diane au bain, nue.
Les
deux vers par lesquels, dans les Métamorphoses,
Ovide commence son récit résonnent a
posteriori comme des vers décrivant non pas la situation du personnage
mythologique, mais celle du poète. C’est à se demander s'ils n’ont pas été ajoutés après coup – après l’an 8 – pour rendre la
situation d’Ovide plus tragique encore du fait de la référence mythologique. Les
voici :
On
pourrait trouver là matière à blâmer la Fortune
Mais
rien de criminel – qu’a de criminel une erreur ?
D’après Ovide, Métamorphoses, III, 141-142
« Qu’a de criminel une erreur ? » Une
erreur… Ovide ne désigne pas d’un autre mot ce qui a causé sa perte.
Suit
le récit de la mésaventure d’Actéon :
Voici
qu’Actéon, qui avait différé ses travaux,
Sans
savoir où il allait dans ces taillis inconnus,
Parvient
dans le bois : c’est là que son destin le portait.
A
peine eut-il pénétré dans l’antre où coulait la source
Que
les nymphes, voyant, dans la tenue qu’elles portaient,
Un
homme – elles étaient nues –, remplissent soudain le bois
De
cris aigus, se frappent la poitrine et font autour
De
Diane un abri de leur corps ; mais la déesse étant
La
plus grande, elle les dépasse toutes d’une tête.
La
couleur que prennent les nuages quand le soleil
Les
frappe de front, la couleur de l’aurore empourprée
Fut
celle du visage de Diane vue sans habits.
Bien
qu’elle eût autour d’elle la troupe de ses compagnes,
Elle
se mit pourtant de côté, elle détourna
La
tête. Et, n’ayant pas sous la main ses flèches rapides,
Elle
prit ce qu’elle avait – de l’eau – et la projeta
Au
visage d’Actéon. Répandant sur ses cheveux
L’eau
vengeresse, elle annonça ainsi sa fin prochaine :
« Tu
peux maintenant raconter que tu m’as vue sans voile,
Si
tu peux le raconter. » Sans menacer davantage,
Elle
orne sa tête trempée des bois d’un cerf vivace,
Elle
étire son cou, lui fait des oreilles en pointe,
Elle
change ses mains en pieds, ses bras en longues jambes,
Elle
recouvre son corps d’un pelage tacheté,
Et
pour finir le rend peureux : ce fils d’Autonoé,
Ce
héros, fuit et s’étonne en courant d’aller si vite.
Mais
quand il aperçut dans l’eau ses traits et sa ramure ;
« Quel
malheur ! », allait-il dire ; il ne put émettre un mot.
Il
brama : tel était son langage. Il mouilla ses joues,
Qui
n’étaient plus siennes : il n’avait gardé que sa raison.
D’après Ovide, Métamorphoses, III, 174-203
Ovide
raconte enfin comment il est rattrapé et déchiré par ses chiens, scène de
carnage qui se termine ainsi :
Il pousse un
gémissement
Qui
n’est pas celui d’un homme, et n’est pas non plus celui
D’un
cerf ; les monts qu’il fréquentait résonnent de ses plaintes.
Genoux
fléchis, tel un suppliant, il semble implorer ;
Il
tend à l’entour, faute de bras, sa face muette,
Mais
les chasseurs, comme avant, excitent la meute avide
En
cherchant des yeux Actéon, qu’ils n’ont pas reconnu,
Et,
le croyant absent, ils crient à l’envi « Actéon ! »
A
ce nom, il tourne la tête. Ils se plaignent qu’il soit
Absent
et tarde à venir voir la proie qui s’offre à eux.
Absent,
il voudrait l’être, et il est là ; il voudrait voir
Ses
chiens mordre cruellement sans l’éprouver aussi.
Ils
l’encerclent de partout, plongent en lui leur museau
Et
lacèrent leur maître dont l’apparence les trompe.
Tant
que mille blessures n’eurent pas causé sa mort,
La
colère de Diane, dit-on, ne retomba pas.
D’après Ovide, Métamorphoses, III, 237-252
Il
suffirait de remplacer « Diane » par « Auguste » dans le
dernier vers pour que celui-ci s’applique non pas à Actéon mais à Ovide.
L’ironie
de l’histoire veut donc que la réalité rattrape la fiction et qu’Ovide subisse
le destin d’un de ses personnages.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là : ce n’est
pas uniquement par métaphore qu’on peut dire qu’Ovide s’est métamorphosé puisque,
dans son exil de Tomes, il va subir jusque dans sa chair une authentique
métamorphose.
Actéon, © Jean-Luc Ramond
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