vendredi 13 octobre 2017

Daphné à La Pop

Ceux qui seront à Paris dimanche prochain pourront écouter la lecture faite par Benjamin Lazar de la fable de Daphné et Apollon. Benjamin Lazar sera accompagné par le chanteur Florent Mateo. C'est à 15h30 à La Pop (face au 32-34 quai de la Loire, 75019 Paris).
Pour plus de précisions, suivre le lien http://paris.carpediem.cd/events/4705215-lecture-3-daphn-et-apollon-par-benjamin-lazar-at-la-pop/
Et pour en savoir plus sur Benjamin Lazar, suivre le lien https://www.francemusique.fr/emissions/l-invite-du-jour/entre-musique-et-litterature-avec-le-comedien-et-metteur-en-scene-benjamin-lazar-37172 (la présentation de sa lecture du 15 octobre est faite à partir de 36'15'').
Quant à ceux qui ne seront pas à Paris, ils pourront toujours se consoler en lisant - pourquoi pas à haute voix ? - la version que je vous propose de la fable...



Le premier amour de Phébus, ce fut Daphné, qu’il dut
Non au hasard mais à la rancune de Cupidon.
Apollon, tout fier encor d’avoir vaincu le serpent,
L’avait vu qui tendait son arc en tirant sur la corde :
« Que fais-tu, polisson, avec une arme pour les grands ? »
Lui dit-il. « Ce que tu tiens là va bien à mon épaule,
Moi qui blesse infailliblement bêtes et ennemis,
Moi qui viens de percer Python, tout gonflé de venin
Et dont le ventre écrasait tant d’arpents, de mille flèches.               460
Contente-toi d’allumer de ton flambeau je ne sais
Quelles amours, sans prétendre aux couronnes qu’on me  tresse. »
Le fils de Vénus lui répond : « Ton arc ne manque pas
Son but ? Le mien ne te manquera pas. Les animaux
Le cèdent à Phébus ? Ta gloire à la mienne le cède. »
Il se tut ; battant l’air à grands coups d’ailes, il alla
Tout droit se poser au sommet ombragé du Parnasse,
Et tira de son carquois rempli de flèches, deux traits
D’effet contraire : l’un fait fuir l’amour, l’autre l’appelle.
Le premier est doré, sa pointe acérée resplendit ;                             470
Le second, émoussé, a la tige lestée de plomb.
De celui-ci, le dieu atteint Daphné ; de celui-là,
Il blesse Apollon, transperçant ses os jusqu’à la moelle.
L’un aime sur le champ ; l’autre fuit jusqu’au nom d’amante.
La retraite des forêts, les bêtes qu’on capture et
Dépouille font sa joie ; elle imite Phébé, la vierge.
Un ruban retient ses cheveux, qu’elle n’a pas coiffés.
Beaucoup l’ont recherchée ; elle les a tous repoussés
Pour parcourir les bois profonds, sans souffrir leur union,
Sans se soucier de l’hymen, de l’amour, du mariage.                       480
Souvent son père lui dit : « Tu me dois, ma fille, un gendre. »
Souvent son père lui dit : « Tu me dois des petits-fils. »
Elle qui tient en horreur les noces – elle y voit un crime –
A honte, et son beau visage est gagné par la rougeur.
Elle passe ses bras caressants au cou de son père :
« Permets-moi, père chéri, dit-elle, de rester vierge
A tout jamais ; Diane déjà l’a obtenu du sien. »
Il y consent. Mais tes attraits font obstacle à tes souhaits,
Ta beauté interdit que ce que tu veux s’accomplisse.
Phébus a vu Daphné ; il l’aime et veut s’unir à elle.                         490
Il espère être exaucé mais ses oracles l’abusent.
Comme le chaume léger prend feu après la moisson,
Comme un buisson s’enflamme s’il advient qu’un voyageur
En a trop approché sa torche ou l’abandonne là
Au point du jour, ainsi le dieu s’embrasa ; tout son cœur
Se consume et il nourrit son amour d’un vain espoir.
Il contemple ses cheveux tombant épars sur son cou
Et se dit : « Que seraient-ils bien peignés ? » Il voit ses yeux,
Brillants comme des étoiles ; il voit sa bouche mignonne
– La voir ne lui suffit pas ; il loue ses doigts et ses mains                500
Et ses poignets et ses bras plus qu’à demi dévêtus.
Ce qui se cache, il l’embellit. Plus vite que le vent
Léger, la nymphe fuit, sans s’arrêter, sans l’écouter.
« Attends, fille du Pénée ! Je n’ai rien d’un ennemi.
Attends, nymphe ! Tu me fuis comme la brebis le loup,
La biche le lion, les colombes craintives l’aigle.
Ce sont leurs ennemis ; moi, je te poursuis par amour,
Pour mon malheur ! Ne va pas tomber ; épargne à tes jambes
L’injurieuse griffe des ronces. Ne souffre pas par moi.
Les terrains que tu parcours sont malaisés. Ralentis,                        510
Je t’en prie, retiens ton pas ; je ralentirai ma course.
Vois cependant à qui tu plais : pas à un montagnard,
Pas à un hirsute berger qui garderait ses bœufs
Et ses moutons. Tu ne sais, imprudente, qui tu fuis
Et c’est pour cela que tu fuis. Je règne sur le sol
De Delphes, sur Claros, sur Ténédos, sur Patara.
Mon père est Jupiter ; par moi sont révélés passé
Présent et avenir ; musique et chant par moi s’accordent.
Ma flèche est infaillible – moins, pourtant, que celle qui
A fait une blessure à ce cœur que rien n’occupait.                           520
J’ai inventé la médecine, on me nomme partout
Le secourable, et je détiens le pouvoir sur herbes.
Mais, hélas ! aucune herbe ne peut guérir de l’amour,
Et mon art, utile à tous, est inutile à son maître. »
Daphné fuit en courant, toute à sa peur, sans le laisser
Finir, l’abandonnant à son discours inachevé ;
Elle était toujours aussi belle. Les vents la dénudaient ;
Venant à sa rencontre, ils agitaient ses vêtements,
Et la brise rejetait en arrière ses cheveux ;
Sa fuite l’embellissait. Cependant le jeune dieu                               530
Renonce à se perdre en propos charmeurs ; n’écoutant que
L’amour, il se met à la poursuivre en pressant le pas.
Quand, dans la vaste plaine, un chien gaulois a vu un lièvre,
Le premier court après sa proie, l’autre après son salut.
L’un, se croyant près du but, espère qu’il l’atteindra
Incessamment et, le museau tendu, il colle aux traces ;
L’autre ne sait s’il est pris et, s’arrachant aux morsures,
Echappe à cette gueule qui le touche. Ainsi de la
Vierge et du dieu : elle est mue par la peur, lui par l’espoir.
Mais le poursuivant, porté par les ailes de l’amour,                          540
Est le plus rapide ; infatigable, il serre de près
La fugitive, et son souffle atteint ses cheveux épars
Sur sa nuque. A bout de force, elle a blêmi ; épuisée
Par sa course folle, elle tourne les yeux vers les eaux
Du Pénée : « Père, viens à mon secours, si tu le peux ;
Détruis ces traits trop séduisants ; métamorphose-moi. »
Sitôt sa prière achevée, une torpeur l’accable,
Son tendre sein est enveloppé d’une fine écorce,
Ses cheveux poussent en feuillage et ses bras en rameaux,              550
Son pied, naguère si rapide, est pris par les racines,
Sa tête est à la cime ; seul son éclat est intact.
Phébus l’aime toujours et, la main posée sur le tronc,
Il sent encore un cœur qui bat sous la nouvelle écorce ;
Il enlace les rameaux – tels des membres – de ses bras,
Couvre le bois de baisers, auxquels le bois se dérobe.
 « Eh bien ! lui dit le dieu, ne pouvant être mon épouse,
Tu seras donc mon arbre ; oui, toujours ma chevelure,
Ma cithare, mon carquois t’arboreront, ô laurier.
Les chefs latins te porteront quand ils vont en cortège                    560
Au Capitole et qu’avec joie on chante leur triomphe.
Tu encadreras le seuil de la demeure d’Auguste,
En très fidèle gardien de la couronne de chêne.
Ma tête de jeune dieu porte d’abondants cheveux ;
Sois aussi toujours ornée d’un feuillage persistant. »
Péan s’était tu. Le laurier inclina ses nouveaux
Rameaux, sembla agiter sa cime comme une tête.
D’après Ovide, Métamorphoses, I, 452-567
 
 


© Jean-Luc Ramond
 




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