mardi 16 mai 2017

La nymphe Echo...

Puisqu'il était question dans ma dernière publication de La source des images, remontons à la source de notre connaissance de Narcisse : les vers qu'Ovide lui consacre au livre III des Métamorphoses.
Mais chez Ovide, l'épisode commence par l'histoire d'Echo, la nymphe bavarde - l'écho étant aux sons de ce que le reflet est aux images.

Tirésias, qui rendait pour tous d’infaillibles oracles,
Avait un très grand renom dans les villes d’Aonie.                                                 
Liriopé aux cheveux d’azur éprouva la première
Qu’on pouvait se fier à lui. Le Céphise, jadis,
L’enveloppa dans sa courbe et, prisonnière des flots,
Il la viola. Belle comme elle était, elle porta
Et mit au monde un enfant digne d’être aimé des nymphes                                          
A sa naissance, et le nomma Narcisse. Interrogé
Pour savoir s’il atteindrait une vieillesse avancée,
Tirésias rendit cet arrêt : « S’il ne se connaît pas ».
On crut longtemps que l’oracle était vain ; le dénouement,
Les faits, cette mort, ce délire étrange le démentirent.                                            
A ses quinze ans, le fils du Céphise avait ajouté
Une année : on pouvait le dire enfant comme jeune homme.
Bien des jeunes gens, bien des jeunes filles le désirèrent ;
Ni les jeunes gens, ni les jeunes filles ne le touchèrent,
Tant était dur l’orgueil que cachait sa tendre beauté.                                              
Comme il chassait vers ses filets des cerfs tremblants, la nymphe
A la voix sonore — Echo — le vit, elle qui ne sait
Ni s’abstenir de répondre, ni parler avant les autres.
Echo, qui n’est plus qu’une voix, avait encore un corps,
Mais la bavarde parlait comme elle fait aujourd’hui :                                              
En ne renvoyant que les derniers des mots prononcés.
C’est l’œuvre de Junon : quand celle-ci pouvait surprendre
Les nymphes dans les montagnes couchées avec Jupiter,
Echo la retenait longtemps par d’habiles discours,
Laissant le temps de fuir aux nymphes ; Junon s’en aperçut :                                 
« Celle langue qui m’a trompée ne te servira plus
Beaucoup et tu ne prendras plus pour longtemps la parole. »
La menace est suivie d’effet : Echo reprend la fin
De ce qui s’est dit, rapporte ce qu’elle a entendu.
Voyant donc Narcisse aller par des campagnes perdues,                                         
Elle suit ses pas à la dérobée, brûlant d’amour.
Plus elle le suit, plus elle se rapproche et se brûle
A cette flamme : ainsi le soufre vif dont on enduit
L’extrémité des torches prend feu à l’approche des flammes.
Que de fois elle veut l’aborder avec des mots doux,                                                        
Faire de tendres prières ; sa nature s’y oppose,
Lui défend de commencer ; mais il n’est pas défendu
De guetter des sons auxquels répondre : elle s’y tient prête.
L’enfant se retrouva loin de ses compagnons fidèles ;
« Il y a quelqu’un ? », demande-t-il. « Quelqu’un », répond Echo.                         
Stupéfait, il jette des regards de tous les côtés
Et s’écrie « Viens ! » à pleine voix ; elle le lui renvoie.
Il se retourne et ne voit rien venir. « Pourquoi, dit-il,
Me fuis-tu ? » Il lui revient mot pour mot ce qu’il a dit.
Il insiste, abusé par ce faux semblant de réponse.                                                    
« Rejoignons-nous ici. » Jamais Echo ne renvoya
Un son plus volontiers : « Joignons-nous ici », répond-elle.
Et, passant du mot à l’acte, elle sort de la forêt
Pour aller enlacer ce cou, objet de son désir.
En fuyant, il lui dit : « Enlève tes mains ; pas d’étreinte.                                        
Je serai mort avant que tu ne disposes de moi. »
Elle ne lui répond que ces mots : « Dispose de moi. »
Honteuse d’être dédaignée, elle se cache au fond
Des bois, sous les feuillages, vit dans les antres solitaires.
Mais la douleur du refus accroît son amour tenace ;                                                
Son souci la tient éveillée, mine son pauvre corps,
La maigreur ride sa peau et sa substance s’en va
Dans les airs. Seuls subsistent sa voix et ses os. Sa voix
Reste inchangée, ses os, dit-on, se transforment en pierre.
Depuis, elle se cache au fond des bois, n’apparaît pas                                             
Sur les montagnes ; chacun l’entend : il survit d’elle un son.
Ainsi se joua-t-il de la nymphe et d’autres encore,
Nées de l’eau, des montagnes, et de bien des garçons aussi.
Un qu’il avait éconduit lève donc les bras au ciel :
« Qu’il aime comme nous, et que ce qu’il aime le fuie. »                                         
Il se tut. Némésis exauça ses justes prières.
D'après Ovide, Métamorphoses, III, 339-406


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