Nous pourrions nous exclamer ainsi vu les trombes qui s'abattent du ciel, vu le niveau des cours d'eau qui ne cesse de monter, vu les vagues qui submergent nos côtes...
Et pourtant, je me propose d'en rajouter en vous faisant partager le texte de la conférence que René Mouraud a prononcée 2013 dans le cadre du IXe printemps de l'Antiquité en Bretagne (ARELA), dont le thème était "L'eau, source de vie, source de mythes".
Un grand merci à René, qui nous fait l'amitié de nous communiquer le fruit de son travail !
HISTOIRES
D’EAU
L’IMAGINAIRE DE L’EAU
DANS LES METAMORPHOSES D’OVIDE
L’EAU, MATRICE ET TOMBEAU
Notre expérience première nous
en persuade aisément : c’est la même eau qui donne la vie et qui noie. Elle
nous questionne sur l’origine et la fin de toute existence et en cela, on peut
dire paradoxalement qu’elle est à la fois matrice et tombeau.
L’eau primordiale
Matière indifférenciée de
toutes les formes possibles, peut-être parce qu’elle n’a pas de forme propre
mais qu’elle peut prendre celle de tous les récipients qui la contiennent,
l’eau apparaît dès l’abord comme l’élément primordial entre tous, porteur des
naissances et des dissolutions dont le cycle se poursuit sans interruption :
elle est donc liée par nature à la métamorphose. C’était ce que disaient déjà les
mythes anciens bien avant que nous sachions que c’est dans l’eau de mer qu’est
née la première forme de vie, que le
liquide amniotique qui nourrit l’enfant dans le ventre de sa mère en est
chimiquement proche et que notre corps est fait à 80% d’eau. Chez les Grecs, le
monde naît des eaux, matrice première de toutes les formes à venir, figurées
par d’étranges créatures marines, masculines et féminines qui se renouvellent
sans cesse comme les vagues. Le couple primordial c’est Okéanos, fleuve
tumultueux et sans rives, lié inséparablement à Téthys, la Mèr(e) universelle.
Ovide a retenu deux figures de l’eau archaïque directement liées à la métamorphose.
La première est celle de
Protée, “le vieux de la mer”, qui prend toutes les formes possibles pour éviter
de dire ce qu’il sait des secrets de la vie. « Il y a des corps, / Qui, ayant changé une fois de forme, sont
restés ainsi métamorphosés ; / Il en est d’autres qui eurent le droit de
revêtir plusieurs images, / Comme toi, Protée, habitant de la mer qui embrasses
la terre. / On t’a vu ainsi tantôt jeune homme, tantôt lion, / Tel jour
sanglier furieux, tel autre serpent que l’on avait peur / De toucher, ou encore
taureau muni de cornes ; / On a pu te voir souvent sous l’aspect d’une pierre,
souvent aussi d’un arbre ; / Prenant l’allure parfois des eaux limpides, tu
étais fleuve, / Et d’autres fois tu étais feu opposé à l’eau » (VIII,
728-737, trad. D. Robert).
La deuxième est celle de la
Néréide Thétis, fille d’Okéanos, forcée d’épouser le mortel Pélée qui veut lui
ravir son pouvoir de fécondité. Elle change éperdument de formes pour échapper
à ses avances : « Tu venais souvent, Thétis, dans une grotte, / Nue, chevauchant un dauphin
que tu tenais en bride. / C’est là que Pélée te surprit alors que, cédant au
sommeil, / Tu t’y étais couchée et comme, mise à l’épreuve, tu repoussais ses
avances, / Nouant ses deux bras autour de ton cou il s’apprêta à te violer. / Si
tu n’avais pas eu recours, par des transformations nombreuses, / A tes
artifices habituels, il serait hardiment parvenu à ses fins. / Mais tu étais un
oiseau, et il emprisonnait l’oiseau, / Ou bien un arbre imposant, et Pélée se
collait à cet arbre. / Ta troisième forme fut celle d’une tigresse tachetée :
effrayé, / Le fils d’Eaque détacha ses bras de ton corps » (XI, 235-246, trad. D. Robert).
Protée lui conseille de
l’enserrer dans un filet. De la réussite de cette deuxième tentative naîtra
Achille, le héros de l’Iliade. On sait que Thétis voudra lui conférer l’immortalité en le trempant
dans l’eau du Styx, le fleuve des Morts, sauf le talon…
On sait par ailleurs que
Vénus, déesse du Désir, est “née de l’écume” de la mer (Aphrodite en grec) ou
plutôt du sperme et du sang d’Ouranos, tombés dans la mer après que Cronos eut
émasculé son père. C’est moins gracieux que la coquille de Botticelli… mais très
parlant !
Sandro Botticelli, La naissance de Vénus, vers 1484-1485
La puissance créatrice de
l’eau se renforce de l’énergie des autres éléments, la terre, l’air et surtout
le feu. Après le Déluge, la chaleur du soleil engendre toutes sortes de créatures,
même les pires, comme le serpent Python : « La terre
enfanta spontanément les autres animaux sous des formes / Diverses, après que
l’eau restante se fut réchauffée / Aux rayons du soleil, qu’une forte chaleur
eut accru le volume / Des marais humides et limoneux puis que des germes
fertile, / Nourris par un sol vivifiant, eurent, comme dans le ventre d’une
mère, / Grandi, se transformant avec le temps. (…) Et de fait, quand humidité
et chaleur s’équilibrent, il y a / Fécondation et c’est d’elles deux que tout
naît ; / Car bien que le feu soit en lutte avec l’eau, un air chaud et humide /
Crée la vie et l’harmonie des contraires favorise les naissances. Donc, lorsque
la terre rendue boueuse par le récent déluge / Se fut réchauffée sous l’effet
puissant des rayons du soleil, / Elle donna le jour à d’innombrables espèces,
tantôt reproduisant / Des formes existantes, tantôt créant des prodiges
nouveaux. Et elle t’engendra aussi, certes sans le vouloir, Python énorme : / Serpent
encore inconnu des nouvelles générations, / Tu étais leur terreur tant tu
tenais de place sur les montagnes » (I,
416-421 et 430-440, trad. D. Robert).
Le
feu divin lui-même deviendra eau fertile puisque c’est Jupiter métamorphosé en
pluie d’or qui fécondera la malheureuse prisonnière Danaé. Elle sera de nouveau
enfermée avec son bébé Persée dans un coffre, berceau-cercueil jeté à la mer
qui se révélera finalement salvatrice.
Gravure de Virgil Solis
Cratère Ve s. av. J.-C., musée de Louvre
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