dimanche 7 janvier 2018

Que d'eau ! Que d'eau ! (I)

Nous pourrions nous exclamer ainsi vu les trombes qui s'abattent du ciel, vu le niveau des cours d'eau qui ne cesse de monter, vu les vagues qui submergent nos côtes...
Et pourtant, je me propose d'en rajouter en vous faisant partager le texte de la conférence que René Mouraud a prononcée 2013 dans le cadre du IXe printemps de l'Antiquité en Bretagne (ARELA), dont le thème était "L'eau, source de vie, source de mythes".
Un grand merci à René, qui nous fait l'amitié de nous communiquer le fruit de son travail !

                                  


HISTOIRES D’EAU
L’IMAGINAIRE DE L’EAU
DANS LES METAMORPHOSES D’OVIDE


L’EAU, MATRICE ET TOMBEAU
Notre expérience première nous en persuade aisément : c’est la même eau qui donne la vie et qui noie. Elle nous questionne sur l’origine et la fin de toute existence et en cela, on peut dire paradoxalement qu’elle est à la fois matrice et tombeau.
L’eau primordiale
Matière indifférenciée de toutes les formes possibles, peut-être parce qu’elle n’a pas de forme propre mais qu’elle peut prendre celle de tous les récipients qui la contiennent, l’eau apparaît dès l’abord comme l’élément primordial entre tous, porteur des naissances et des dissolutions dont le cycle se poursuit sans interruption : elle est donc liée par nature à la métamorphose. C’était ce que disaient déjà les mythes anciens bien avant que nous sachions que c’est dans l’eau de mer qu’est née la  première forme de vie, que le liquide amniotique qui nourrit l’enfant dans le ventre de sa mère en est chimiquement proche et que notre corps est fait à 80% d’eau. Chez les Grecs, le monde naît des eaux, matrice première de toutes les formes à venir, figurées par d’étranges créatures marines, masculines et féminines qui se renouvellent sans cesse comme les vagues. Le couple primordial c’est Okéanos, fleuve tumultueux et sans rives, lié inséparablement à Téthys, la Mèr(e) universelle. Ovide a retenu deux figures de l’eau archaïque directement liées à la métamorphose.
La première est celle de Protée, “le vieux de la mer”, qui prend toutes les formes possibles pour éviter de dire ce qu’il sait des secrets de la vie. « Il y a des corps, / Qui, ayant changé une fois de forme, sont restés ainsi métamorphosés ; / Il en est d’autres qui eurent le droit de revêtir plusieurs images, / Comme toi, Protée, habitant de la mer qui embrasses la terre. / On t’a vu ainsi tantôt jeune homme, tantôt lion, / Tel jour sanglier furieux, tel autre serpent que l’on avait peur / De toucher, ou encore taureau muni de cornes ; / On a pu te voir souvent sous l’aspect d’une pierre, souvent aussi d’un  arbre ; / Prenant l’allure parfois des eaux limpides, tu étais fleuve, / Et d’autres fois tu étais feu opposé à l’eau » (VIII, 728-737, trad. D. Robert).
La deuxième est celle de la Néréide Thétis, fille d’Okéanos, forcée d’épouser le mortel Pélée qui veut lui ravir son pouvoir de fécondité. Elle change éperdument de formes pour échapper à ses avances : « Tu venais souvent, Thétis, dans une grotte, / Nue, chevauchant un dauphin que tu tenais en bride. / C’est là que Pélée te surprit alors que, cédant au sommeil, / Tu t’y étais couchée et comme, mise à l’épreuve, tu repoussais ses avances, / Nouant ses deux bras autour de ton cou il s’apprêta à te violer. / Si tu n’avais pas eu recours, par des transformations nombreuses, / A tes artifices habituels, il serait hardiment parvenu à ses fins. / Mais tu étais un oiseau, et il emprisonnait l’oiseau, / Ou bien un arbre imposant, et Pélée se collait à cet arbre. / Ta troisième forme fut celle d’une tigresse tachetée : effrayé, / Le fils d’Eaque détacha ses bras de ton corps » (XI, 235-246, trad. D. Robert).
Protée lui conseille de l’enserrer dans un filet. De la réussite de cette deuxième tentative naîtra Achille, le héros de l’Iliade. On sait que Thétis voudra lui conférer l’immortalité en le trempant dans l’eau du Styx, le fleuve des Morts, sauf le talon…
On sait par ailleurs que Vénus, déesse du Désir, est “née de l’écume” de la mer (Aphrodite en grec) ou plutôt du sperme et du sang d’Ouranos, tombés dans la mer après que Cronos eut émasculé son père. C’est moins gracieux que la coquille de Botticelli… mais très parlant !

Sandro Botticelli, La naissance de Vénus, vers 1484-1485
 
La puissance créatrice de l’eau se renforce de l’énergie des autres éléments, la terre, l’air et surtout le feu. Après le Déluge, la chaleur du soleil engendre toutes sortes de créatures, même les pires, comme le serpent Python : « La terre enfanta spontanément les autres animaux sous des formes / Diverses, après que l’eau restante se fut réchauffée / Aux rayons du soleil, qu’une forte chaleur eut accru le volume / Des marais humides et limoneux puis que des germes fertile, / Nourris par un sol vivifiant, eurent, comme dans le ventre d’une mère, / Grandi, se transformant avec le temps. (…) Et de fait, quand humidité et chaleur s’équilibrent, il y a / Fécondation et c’est d’elles deux que tout naît ; / Car bien que le feu soit en lutte avec l’eau, un air chaud et humide / Crée la vie et l’harmonie des contraires favorise les naissances. Donc, lorsque la terre rendue boueuse par le récent déluge / Se fut réchauffée sous l’effet puissant des rayons du soleil, / Elle donna le jour à d’innombrables espèces, tantôt reproduisant / Des formes existantes, tantôt créant des prodiges nouveaux. Et elle t’engendra aussi, certes sans le vouloir, Python énorme : / Serpent encore inconnu des nouvelles générations, / Tu étais leur terreur tant tu tenais de place sur les montagnes »    (I, 416-421 et 430-440, trad. D. Robert).

 Gravure de Virgil Solis
Le feu divin lui-même deviendra eau fertile puisque c’est Jupiter métamorphosé en pluie d’or qui fécondera la malheureuse prisonnière Danaé. Elle sera de nouveau enfermée avec son bébé Persée dans un coffre, berceau-cercueil jeté à la mer qui se révélera finalement salvatrice.

 Cratère Ve s. av. J.-C., musée de Louvre

Aucun commentaire: