Voici le texte de la conférence que j'ai donnée à Toulouse, à la libraire Ombres Blanches, le 29 mars dernier, à l'invitation de l'Association de la Région Toulousaine pour l'Enseignement des Langues Anciennes (ARTELA).
METEOROLOGIE ET
TEMPORALITE DANS LES TRISTESSES D'OVIDE
Par un jour d’automne de l’an 8 ap.
J.-C. – qui n’était sûrement pas un beau jour – Ovide reçoit un édit de
l’empereur Auguste lui enjoignant de quitter Rome et l’assignant à résidence à
Tomes, sur la côte occidentale du Pont-Euxin (l’actuelle mer Noire), au fin
bout de l’empire, à l’emplacement de la ville moderne de Constanţa, en
Roumanie. Ovide avait alors cinquante ans et espérait passer une vieillesse
sereine, profiter d’un otium qu’il
pensait avoir mérité. C’est ce qu’il confie au lecteur dans une élégie des Tristesses :
Mes tempes, désormais, ressemblent aux
plumes du cygne
Et
la vieillesse teint en blanc mes noirs cheveux.
La faiblesse me gagne et mon âge est
sur le déclin ;
J’ai
du mal à me soutenir et je chancelle.
Ce devait être le moment, mes travaux
terminés,
De
vivre sans subir les tourments de la crainte,
De jouir de loisirs que j’ai toujours
affectionnés,
De
m’adonner avec mollesse à mes études,
De chanter mon petit chez moi et mes
bons vieux Pénates,
Et
les champs paternels – qui ont perdu leur maître –,
Et de vieillir dans ma patrie, sans
souci, entouré
De
mon épouse aimante et de mes chers amis.
Voilà ce que jadis je m’étais pris à
espérer,
Telle
est la fin que j’aurais mérité d’avoir.
Tristesses, IV, 8, 1-14
L’édit
de l’empereur a tout d’un coup de tonnerre dans un ciel serein, et Ovide se déclare
(…) aussi abasourdi qu’un homme
foudroyé
Par
Jupiter, toujours en vie mais inconscient.
Tristesses, I, 3, 11-12
Il
n’y a pas lieu de revenir ici sur les raisons de son exil[1] :
notre propos est de prendre la mesure du changement, consécutif à cet
événement, dans la façon dont Ovide perçoit le temps qui passe et, dans une
moindre mesure, supporte le temps qu’il fait.
Ovide
est tenu par l’édit impérial de quitter l’Italie sans délai, si bien qu’il doit
partir – probablement de Brindes – en direction de la Grèce à la fin du mois de
novembre, c'est-à-dire pendant la période dite de mare clausum[2]
(mer fermée), pendant laquelle les bateaux sont censés ne pas naviguer.
On
ne sait exactement combien de temps dura le voyage[3].
Jacques André propose la chronologie suivante : « Le voyage d’Ovide a
duré quatre mois. Parti de Brindes à la fin de novembre de l’an 8, il a débarqué
à Tomes à la fin de l’hiver, vraisemblablement vers l’équinoxe de printemps de
l’an 9 » (Tristes, C. U. F.,
1968, p. XXIII).
Les conditions météorologiques
qu’Ovide connaît pendant la traversée sont mauvaises. Sans doute était-ce un
premier effet de la punition d’Auguste, un avant-goût de ce que serait son
quotidien. Il essuie une tempête, dont il fait le récit à deux reprises (I, 2
et I, 4). En voici un aperçu :
Malheur ! Quelles montagnes d’eau
se forment ! On dirait
Qu’elles
vont tout là-haut atteindre les étoiles.
Quels abîmes se creusent quand la mer
s’ouvre ! On dirait
Qu’ils
vont dans un instant toucher au noir Tartare !
Où que je porte mes regards, ce n’est
que mer et ciel,
L’une
aux flots grossissants, l’autre aux nues menaçantes.
Entre les deux, les vents mugissent
prodigieusement,
Et
l’onde ne sait pas à quel maître obéir :
Tantôt l’Eurus forcit depuis l’Orient
rougeoyant,
Tantôt
c’est le Zéphyr, du lointain Occident,
Tantôt l’aride Borée du pôle glacial
déferle,
Tantôt,
lui faisant front, le Notus le combat.
Le pilote hésite : où aller, que
fuir ? Il ne le sait,
Tant
des maux opposés paralysent son art.
Nous sommes donc perdus, pas le moindre
espoir de salut ;
Je
parle, et mon visage est recouvert par l’onde,
Les flots vont m’étouffer, l’eau me
noyer en pénétrant
Dans
ma bouche, qui dit d’inutiles prières.
Tristesses, I, 2, 19-36
A
cela s’ajoutent les éclairs et le tonnerre :
Malheur ! Quels éclairs rapprochés
ont zébré les nuages !
Quel
tonnerre, venu du haut du ciel, résonne !
Tristesses, I, 2, 45-46
A
la fureur de Neptune s’ajoute donc celle de Jupiter.
Ironie du sort, les vents se
déchaînent, mais dans la mauvaise direction : au lieu d’emporter Naso vers
la Grèce, ils le ramènent vers l’Italie, où il est désormais interdit de séjour[4] :
Que fais-je ici ? Vents rapides,
emportez-moi ! Pourquoi
Vouloir
gagner le sol de l’Italie, mes voiles ?
César l’interdit. Pourquoi retenir
celui qu’il chasse ?
Que
la terre du Pont voie à quoi je ressemble.
Tristesses, I, 2, 91-94
Voilà
donc trois des quatre éléments (l’eau, l’air, le feu, c'est-à-dire la mer, le
vent, les éclairs) réunis pour accabler Naso.
Mais
ce déchaînement, pris ici au sens propre, doit ailleurs être pris au sens
figuré : car ces mêmes éléments font aussi l’objet d’un traitement
métaphorique de la part d’Ovide.
Si l’on représente la vie par
l’image d’un voyage en mer, Ovide peut dire avec raison que son exil l’a fait
passer de la mer calme à la zone des tempêtes. Voici ce qu’il écrit à un
ami :
Tant que j’ai vécu avec toi, qu’une
brise légère
Me
portait, ma barque a vogué sur des eaux calmes.
Tristesses, III, 4a, 15-16
Désormais,
il doit dire :
Les tempêtes contrarient ma fortune et
la malmènent :
Nul
ne saurait avoir plus triste sort que moi.
Tristesses, V, 12, 5-6
Il
va jusqu’à se présenter comme quelqu’un qui a fait naufrage, demandant au peu
d’amis qu’il lui reste d’offrir « un
rivage sûr au naufragé » (Tristesses,
I, 5, 36).
Quant
aux éclairs, ils constituent une image récurrente pour désigner le coup que
l’empereur, assimilé comme il se doit au souverain des dieux, lui a infligé.
« C’est de là qu’est parti
l’éclair qui m’a touché. » (Tristesses, I, 1, 72)
écrit Ovide en parlant du palais d’Auguste sur la Palatin.
Mais
toutes les raisons d’espérer ne sont pas perdues, et c’est encore par le biais
d’une métaphore météorologique qu’Ovide se plaît à le dire :
Un dieu, pourtant,
peut ne pas se montrer impitoyable :
Le jour brille une fois les nuages
chassés.
J’ai vu un ormeau
ployer sous le pampre de la vigne,
Que Jupiter avait rudement foudroyé.
Tristesses, II, 141-144
En
attendant que le temps se fasse plus clément sur le plan métaphorique, les
éléments déchaînés se sont calmés et Ovide a fini par arriver à bon port.
Le
voici donc à Tomes, où il va découvrir une météo et une temporalité nouvelles.
Cette découverte affecte tant sa vie que ses œuvres.
Sur
les quatre saisons de l’année, Ovide n’en retient que deux, s’abstenant de
parler dans ses vers de l’été et de l’automne.
Il
faut expliquer ce choix en pensant à la visée argumentative qui est la
sienne : se faire plaindre pour se faire rappeler. L’été est chaud à
Tomes, mais à Rome aussi. Ovide n’est donc pas le seul à souffrir de la chaleur
estivale et n’est donc pas plus à plaindre que ses compatriotes. Quant à l’automne,
c’est une saison de transition, qui ignore les extrêmes.
Le printemps,
saison elle aussi de transition, fait pourtant l’objet d’un long passage dans
les Tristesses (III, 12 = 54
vers) auquel appartiennent les vers suivants.
Voici que filles et garçons cueillent
joyeusement
La
violette des champs, qui pousse toute seule ;
Les prés se couvrent d’un duvet de
fleurs multicolores
Et
l’oiseau chante instinctivement le printemps.
L’hirondelle ne veut plus passer pour
mauvaise mère
Et
construit sous la poutre un petit nid caché ;
L’herbe, que les sillons de Cérès
recouvraient,
Sort
en pointant sa tendre tige hors de la terre.
Là où pousse la vigne, le sarment porte
un bourgeon,
Mais
la vigne pousse bien loin de chez les Gètes ;
Là où poussent les arbres, sur l’arbre
gonfle un rameau,
Mais
les arbres poussent bien loin de chez les Gètes.
Chez toi, c’est le temps des loisirs,
des jeux qui se succèdent ;
Sur
le forum bavard, plus de joutes verbales.
Maintenant, place aux chevaux, place
aux armes mouchetées,
A
la balle, au cerceau, qui roule prestement ;
Maintenant les jeunes gens, tout
enduits d’une huile fluide,
Plongent
leurs bras fourbus dans les eaux de la source.
La scène bat son plein : chacun
applaudit ce qu’il aime.
Trois
forums se sont tus ; trois théâtres résonnent.
Ô ! cent fois, mille fois heureux
celui qui a le droit
De
profiter de Rome en toute liberté.
Moi, je vois la neige fondue au soleil
du printemps,
Le
lac, dont l’eau n’est plus tirée à coup de pic ;
La mer ne gèle plus, et le Sarmate ne
fait plus
Traverser
le Danube à ses chariots grinçants.
Tristesses, III, 12, 5-30
Ovide
s’attarde à dénoncer l’infériorité du printemps de Tomes sur celui de
Rome : infériorité dans l’ordre de la nature (ni bourgeon sur la vigne, ni
rameau sur l’arbre) mais aussi dans l’ordre de la vie civique : Rome voit
alors se succéder des jeux que Tomes ignore : jeux en l’honneur de Cybèle
du 4 au 10 avril ; jeux en l’honneur de Cérès du 12 au 18 avril ;
jeux en l’honneur de Flora du 28 avril au 3 mai. On y assiste à des courses de
chevaux et à des représentations théâtrales.
Le
retour du printemps va donc de pair, à Rome, avec le réveil d’une nature variée
et généreuse, avec le retour d’un otium
partagé par l’ensemble de la communauté civique. A Tomes, le retour du
printemps est bien marqué par quelques signes d’un réveil timoré de la nature, par une sorte de
retour à l’ordinaire après les rigueurs de l’hiver, mais c’est tout. Aucune
manifestation à laquelle Naso puisse être associé, aucune ferveur populaire
qu’il puisse partager. Le changement de saison n’a donc pour effet que de mieux
lui rappeler tout ce qui le sépare de Rome, tout ce qu’il a perdu.
Mais c’est
l’évocation de l’hiver qui va donner à Ovide l’occasion de brosser de Tomes le
tableau à la fois le plus saisissant et le plus susceptible d’apitoyer ses
concitoyens. Jugeons sur pièce.
Voici,
par exemple, ce qu’il écrit à Auguste (Tristesses,
II, 189-190 et 195-196) :
Moi seul fus envoyé à l’embouchure du
Danube
Affronter
les rigueurs de l’Arctique glacial. (…)
Au-delà, il n’y a rien, si ce n’est le
froid, l’ennemi
Et
la mer, dont les eaux sont prises par le gel.[5]
Ailleurs,
il détaille :
La neige est là, que durcit le Borée,
neige éternelle :
Elle
résistera au soleil, à la pluie.
La première couche n’a pas fondu qu’il
en retombe ;
En
bien des lieux, elle tient souvent deux années.
L’Aquilon déchaîné souffle si fort
qu’il jette à bas
Les
hautes tours, arrache les toits, les emporte.
Tristesses, III, 10, 13-18
Ce
grand froid a, bien sûr, des conséquences sur la vie de tous les jours :
Le vin garde la forme de l’amphore et
tient tout seul ;
On
ne le sert pas en coupes mais en sucettes.
Que dire des ruisseaux, que le froid saisit et enchaîne,
Et
du lac d’où l’on tire l’eau à coups de pic ?
Le Danube, aussi large que le fleuve
aux papyrus
Et
qui se jette dans le Pont-Euxin par tant
De bouches, gèle quand les vents
durcissent ses eaux bleues ;
Il
coule vers la mer sous un tunnel de glace.
Les bateaux y voguaient ;
maintenant, on y marche, et l’eau,
Congelée,
retentit du sabot des chevaux.
Sur ces ponts d’un genre nouveau, sous
lesquels passe l’eau,
Des
bœufs sarmates tirent des chariots barbares.
Me croira-t-on ? Pourtant, son
intérêt n’étant pas de
Mentir,
un témoin doit être cru sans réserve.
J’ai vu l’immense mer se solidifier en
glace,
Glissante
carapace accablant l’eau sans ride.
Mais voir ne suffit pas : j’ai
marché sur les flots durcis,
J’ai
foulé à pied sec la surface des eaux.
[41-42]
Alors, les dauphins arqués ne peuvent
bondir dans l’air ;
Quand
ils essaient, le dur hiver les en empêche.
Même si le Borée retentit en battant
des ailes,
L’eau
ne s’agite pas sur le gouffre glacé.
Les bateaux pris par le gel seront
bloqués dans du marbre,
La
rame ne pourra fendre les eaux durcies.
Des poissons, j’en ai vus emprisonnés
dans de la glace ;
Une
partie d’entre eux était encore en vie.
Tristesses, III, 10, 23-50
On
appréciera à sa juste valeur la remarque de Naso consistant à rappeler qu’il
peut être cru sans réserve puisque son intérêt n’est pas de mentir. Juste de
durcir les traits ?... Mais il est vrai que le Danube gèle en hiver et
s’il avait eu à sa disposition notre technologie, Ovide n’aurait pas manqué de
poster une vidéo du Danube ou de la mer Noire pris par la glace – faites un
tour sur YouTube en rentrant chez vous, et vous verrez qu’il n’exagère pas tant
que ça…
Sur le Danube gelé...
Au-delà
des faits, on comprendra en quoi cette description peut impressionner les
compatriotes d’Ovide : le vin, tenu à l’état normal pour une association
paradoxale de liquide et de chaleur devient ici une association proprement
inconcevable de solide et de froid. Dès lors, comment faire une libation ?
Comment offrir aux dieux les prémices de sa coupe ? En laissant tomber sur
le sol quelques glaçons ? Le vin est privé de sa dimension culturelle et
religieuse.
On
voit aussi quel changement affecte la surface de la mer. Pour les Romains et
les Grecs, elle est en perpétuel mouvement ; qu’on se rappelle la formule
par laquelle Eschyle évoque les « vagues de la mer, sans fin
souriant » (Prométhée enchaîné,
89-90). A Tomes en hiver, plus question de sourire, plus question, même, de
vagues : la mer s’est transformée en une vaste étendue lisse et solide.
Elle qui est censée relier les hommes s’est figée au point de devenir une
barrière infranchissable aux bateaux, au point de les retenir prisonniers.
L’élément liquide par excellence s’est transformé en glace, s’est métamorphosé
en marbre, est devenu minéral.
Même
les animaux qui la peuplent et dont elle est le milieu naturel en pâtissent : les
dauphins ne peuvent faire les bons gracieux que l’on sait, et les poissons,
aussi mobiles en temps normal que l’eau elle-même se retrouvent pris dans la
glace.
Quant
au Danube, lui aussi devenu solide, il permet aux barbares de la rive gauche de
passer facilement sur la rive droite, en commettant les exactions que l’on
sait :
Si la force du
Borée, ses sauvages excès gèlent
Les eaux du fleuve en crue ou
celles de la mer,
Si l’Aquilon souffle
sec sur le fleuve qu’il arase,
L’ennemi barbare, à cheval, se rue
sur nous.
Tristesses, III, 10, 51-54
A la rigueur de l’hiver s’ajoute la
terreur des hordes sauvages : c’est double peine pour notre poète…
Les
destinataires de ses lettres l’auront bien compris : Naso vit dans un
monde étranger à ce que les Romains ont pu expérimenter, dans un monde étrange,
anormal, impossible à concevoir dans l’espace physique. Un monde qui relève
donc de l’adynaton – de
« l’impossible » – ce procédé de style qui consiste à inviter le
lecteur à imaginer l’inimaginable. Eh bien, Ovide n’a pas besoin de faire des
efforts d’imagination pour y parvenir : il expérimente l’inimaginable.
Si l’hiver a sur l’eau et le vin la
conséquence que l’on sait, on peut dire que l’exil a pour conséquence sur Naso un
changement dans sa perception du temps qui passe.
De
fait, le changement est radical puisque, justement, Naso a le sentiment que le
temps ne passe pas, comme s’il s’était arrêté le jour de son départ de Rome. Il
s’en plaint à de nombreuses reprises.
Pas d’ami pour me consoler, me raconter
de quoi
Tromper
le temps, qui s’écoule si lentement.
Tristesses, III, 3, 11-12
Ailleurs,
il confie que son premier hiver à Tomes lui semble être le plus long de tous ceux
qu’il a connus :
Voici que les Zéphyrs chassent les
froids ; l’année s’achève,
Et
jamais un hiver ne m’a paru plus long.
Tristesses, III, 12, 1-2
Il
se lamente :
Que mon destin, hélas ! suit son
cours lentement !
Tristesses, IV, 1, 86
Mais c’est dans l’élégie V, 10, 1-14
qu’Ovide est le plus explicite :
Depuis mon arrivée, trois fois l’Hister
s’est congelé,
Trois
fois les eaux du Pont-Euxin se sont durcies.
J’ai pourtant l’impression d’être
éloigné de ma patrie
Depuis
autant d’années qu’a duré le siège de Troie.
Le temps semble immobile tant il passe
lentement,
Tant
l’année accomplit son trajet à pas lents.
Le solstice n’abrège en rien la durée
de mes nuits,
L’hiver
n’écourte pas la longueur de mes jours.
Sans doute la nature a fait une
exception pour moi,
Alignant
tout sur mes sempiternels soucis.
Le temps suivrait-il donc pour tous son
cours habituel
Et
réserverait-il des jours plus rigoureux
A celui que retient la côte de l’Euxin,
si mal
Nommé,
et la Scythie, assurément sinistre ?
On
mesurera la différence entre la plainte de l’exilé et la plainte de l’amant qui
voulait retenir la nuit qui lui semblait passer trop vite : « lente, lente currite noctis equi »
(Amours I, 13, 40). On rapprochera
aussi ces vers de cet extrait des Métamorphoses
(X, 519-520) :
Le temps passe à tire d’aile et file
sans qu’on le voie ;
Rien
ne passe plus vite que les ans.
Si
Ovide a l’impression que le temps ne passe pas, son corps est pourtant là pour
lui rappeler que la vieillesse a prise sur lui et avance justement d’autant
plus vite qu’il la passe dans de mauvaises conditions :
Moi aussi, je supportais avant mieux
que maintenant
Des
maux que les jours, en passant, ont décuplés.
Oui, je suis à bout de force et, quand
je vois mon état,
Je
gage que je ne souffrirai plus longtemps. 40
J’ai perdu ma vigueur, j’ai perdu mes
couleurs d’avant ;
Je
n’ai quasiment plus que la peau et les os,
Mais mon esprit est plus malade que mon
corps malade
Et
contemple sans fin le mal qui le consume.
Tristesses, IV, 6, 37-44
Ces
deux derniers vers nous font bien comprendre que le corps n’est pas le seul à
vieillir : Ovide se plaint ailleurs encore des dégradations que le passage
du temps combiné avec sa misère quotidienne causent à son esprit :
Ajoute que mon esprit s’est, à la
longue, rouillé ;
Il
n’a plus rien à voir avec ce qu’il était.
Si la charrue ne fend pas fréquemment
un champ fertile,
Il
ne portera plus que ronce et que chiendent.
Un cheval qui n’a pas couru depuis
longtemps court mal ;
D’entre
ses concurrents, il finira dernier.
Une barque longtemps laissée hors de
son eau finit
Par
pourrir, par se ramollir et par se fendre.
N’espère pas qu’un jour je redevienne
celui que
J’étais
avant – et je n’étais déjà pas grand.
Subir longtemps des malheurs réduit
l’esprit à néant :
Il
ne reste plus rien de ma vigueur passée.
Tristesses, V, 12, 21-32
C’est
donc son activité de poète qui est menacée par l’usure du temps.
Plus
grave encore : le temps passant, Naso finit par perdre l’usage de la
langue latine :
Souvent je cherche un mot, un nom ou un
passage ; il n’est
Personne
par qui je puisse être renseigné.
Souvent, lorsque je voudrais dire
quelque chose, ô honte !
Les
mots me manquent : j’ai désappris à parler.
Je n’entends résonner autour de moi que
thrace et scythe
Ou
presque, et je pourrais, je crois, écrire en gète.
Oui, j’ai peur que des mots pontiques
ne se soient mêlés
Aux
mots latins, que tu n’en trouves dans mes vers.
Fais donc grâce, je t’en prie, à mon
livre, quoi qu’il vaille,
Et
que ma situation lui tienne lieu d’excuse.
Tristesses, III, 14,
43-52
Il
le redit plus loin, en des termes tout aussi forts :
Et moi, le poète romain – Muses,
pardonnez-moi –,
Je
dois le plus souvent m’exprimer en sarmate.
J’ai honte de l’avouer mais, ne parlant
plus latin
Depuis
longtemps, j’ai du mal à trouver mes mots.
Et je suis sûr que même dans ce livre
il s’est glissé
–
La faute au pays, pas à moi – maint barbarisme.
Pour ne pas perdre, toutefois, l’usage
de ma langue
Et
ne pas me retrouver muet en latin,
Je me parle, j’emploie les mots que je
n’employais plus
Et
je retourne aux études qui m’ont perdu.
Tristesses, V, 7, 55-64
Auguste
avait donc trouvé une punition bien cruelle : priver le plus brillant des
poètes de son temps non de ses biens ni de son statut de citoyen mais de son
art, mais de sa langue.
Puisque
Naso subit, comme tout le monde, les effets délétères du temps[6],
peut-il au moins espérer en subir, comme tout le monde, certains effets
bénéfiques ? Car le passage du temps n’a pas que des inconvénients…
Le
plus grand bienfait que le passage du temps puisse procurer à Naso est l’oubli,
entendons l’oubli de ses maux. Mais, là encore, il semblerait que la nature ait
fait une exception :
Avec le temps, le taureau s’habitue à
la charrue,
Offre
son cou au joug recourbé qui lui pèse ;
Avec le temps, le cheval fougueux se
soumet aux rênes,
Accepte
sans broncher la dureté du mors ;
Avec le temps, la fureur du lion
punique tombe,
Sa
férocité de naguère disparaît ;
L’éléphant d’Asie suit les consignes de
son cornac :
Avec
le temps, il supporte son esclavage.
Le temps fait gonfler le raisin en
grappes qui grossissent,
Et
ses grains ont du mal à contenir leur jus ;
Le temps fait germer la semence en épis
qui blondissent,
Veille
à ce que les fruits perdent leur âpreté,
Rogne le soc de la charrue qui retourne
la terre,
Use
le dur silex, use le diamant,
Apaise peu à peu la colère, même
furieuse,
Atténue
le chagrin, dissipe la tristesse.
Le temps qui s’écoule d’un pas
silencieux peut donc
Tout
amoindrir à l’exception de mes soucis.
Tristesses, IV, 6, 1-18[7]
Si
notre poète échappe à la règle générale, il faut souhaiter que l’empereur, lui,
n’y échappe pas. Naso pourra donc espérer que la blessure qu’il lui a infligée
finisse par cicatriser et qu’Auguste, usant d’un pouvoir de thaumaturge, referme
la blessure qu’il a lui-même infligée à Ovide. Celui-ci le dit à plusieurs
reprises, mais jamais mieux qu’ici :
Prie
religieusement le dieu qui t’a frappé :
C’est lui qui peut te fournir un char
volant et des ailes :
Qu’il
te laisse rentrer, et te voici oiseau.
Je crains qu’en formulant ce vœu, je
n’en demande trop ;
Je
ne peux, en effet, rien demander de mieux.
Peut-être un jour, quand sa colère se
sera calmée,
Pourrai-je,
tout tremblant, le formuler encore.
En attendant, maigre faveur mais qui
pour moi n’a pas
De
prix, qu’il me transfère où il veut hors d’ici.
Tristesses, III, 8, 14-22
Le
temps qui passe sur Auguste est donc censé jouer en faveur d’Ovide puisqu’il
apporterait à l’empereur l’oubli de l’offense. Naso peut toujours l’espérer…
Mais
il ne faudrait pas non plus que le temps qui passe, porteur d’un oubli
salutaire, n’aille jusqu’à faire oublier à tout le monde la personne d’Ovide.
Il est en défaveur et il est loin de Rome, ce qui ralentit les échanges
épistolaires. Autant dire qu’il peut disparaître de la mémoire de ses compatriotes.
Aussi
doit-il se rappeler au bon souvenir de ceux qui sont susceptibles d’œuvrer à
l’amélioration de son sort ; c’est ce qu’il fait dans cette élégie
adressée à l’un de ses meilleurs amis :
En tout cas, toi qu’un long commerce
m’a rendu si proche,
Toi
que je regrette, peut-être, plus que tous,
Ne m’oublie pas, et si ton crédit peut
être efficace,
Tente,
je t’en prie, quelque chose en ma faveur,
Pour que la colère du dieu que j’ai
blessé se calme,
Qu’il
allège ma peine en m’exilant ailleurs.
Tristesses, III, 6, 19-24
C’est
pourquoi Naso se réjouit quant il apprend que des passages des Métamorphoses donnent lieu à des
représentations scéniques :
(…) tout ce qui peut empêcher qu’on
m’oublie me convient,
Tout
ce qui fait parler de Naso, le banni.
Tristesses, V, 7, 29-30
Il
faut donc, en attendant que l’entremise de ses amis porte ses fruits, en
attendant que la colère de l’empereur retombe, il faut qu’il s’arme de
patience. Il faut qu’il tue le temps.
Quelles
étaient les occupations de Naso à Tomes ? Il ne nous en dit presque rien :
à nous d’imaginer ce qu’elles ont pu être.
A
titre personnel, je suis convaincu que s’il a écrit un ouvrage consacré aux
poissons – les Halieutiques – c’est
qu’il s’y connaissait en poissons, autrement dit qu’il pratiquait la pêche, et pourquoi
pas avec quelque ami tomitain… Mais il n’en dit rien, et je n’ai aucun élément
de preuve à apporter.
Ce
qui est sûr, par contre, c’est qu’il va se consacrer à la poésie avec l’énergie
du désespoir : elle sera sa planche de salut, et ce à deux titres.
La
poésie va tout d’abord fournir à Ovide un dérivatif. Il le dit fréquemment,
parfois sans s’appesantir :
Je demande à mes vers de me faire
oublier mes maux ;
Si
j’y parviens en travaillant, je suis comblé.
Tristesses, V, 7, 67-68
D’autres
fois en développant :
Les armes des peuples voisins résonnent
alentour,
Mais
la poésie m’aide à supporter mon sort,
Et, sans avoir personne à qui faire
entendre mes vers,
Je
passe ainsi mes jours, je trompe ainsi le temps.
Si donc je suis vivant, si je résiste à
mes malheurs,
Si
cette vie troublée ne me répugne pas,
Merci à toi, Muse ! C’est toi qui
viens me consoler,
Apaiser
mes soucis, me prodiguer tes soins.
Tu es mon guide, ma compagne et,
emporté loin du
Danube, me voici au cœur de
l’Hélicon.[8]
Tristesses, IV, 10, 111-120
Mais
la poésie, tout en permettant à Ovide d’échapper au moment présent, peut aussi
lui garantir une survie glorieuse dans les siècles à venir. L’idée n’est pas
nouvelle ; il s’agit même d’un lieu commun que l’on trouve, par exemple,
chez Horace[9],
que l’on retrouve chez Ovide lui-même, à la fin des Métamorphoses[10] et
dans les Tristesses :
Après ma mort, ma renommé me survivra
Et tant que la Rome de Mars,
victorieuse, verra
De
ses monts l’univers vaincu, je serai lu.
III, 7, 50-52 (à
Périlla)[11]
Ovide
semble toutefois penser que les poèmes qui lui permettront d’accéder à
l’immortalité ne sont pas ses poèmes d’exil, lesquels visent un tout autre but :
L’exilé que je suis cherche le repos,
non la gloire.
Tristesses, IV, 1, 3
Il le redit
ailleurs, avec encore plus de clarté :
J’étais attiré jadis par l’éclat d’un
nom fameux,
Quand
un vent favorable emportait mes antennes.
Je vais trop mal aujourd’hui pour
m’inquiéter de la gloire ;
S’il
se pouvait, je voudrais être un inconnu.
Tristesses, V, 12, 39-42
Mais
tout en déclarant qu’il ne recherche plus la gloire, tout en insistant sur la
piètre qualité de sa production d’exilé, il laisse entendre, à l’occasion, que même
ces poèmes-là peuvent conférer l’immortalité[12].
Ils
peuvent, en particulier, la conférer à sa femme, restée à Rome pour y veiller
sur ses intérêts et censée œuvrer à l’amélioration de son sort. Voici ce qu’Ovide
dit à son propos :
Ô, mon épouse, qui m’es plus chère que
moi, tu sais
Combien
d’attentions j’ai eues pour toi dans mes livres.
La fortune peut priver leur auteur de
bien des choses,
Tu
seras néanmoins célèbre grâce à moi :
Qui me lira lira aussi ce qui fit ton
renom ;
Tu
ne saurais périr entière dans les flammes.
Mon destin peut te valoir d’être jugée
bien à plaindre ;
Tu
trouveras pourtant des femmes qui envient
Ton sort et qui, bien que tu aies ta
part de mes malheurs,
Estiment
que tu es heureuse, et te jalousent.
Non, je ne t’aurais pas donné plus en
te rendant riche :
L’ombre
du riche n’emporte rien chez ses Mânes.
Je t’ai fait don d’un nom qui ne périra
pas ; tu tiens
Là
le plus beau présent que je pouvais te faire.
Tristesses, V, 12, 1-14
Chacun
appréciera l’argument à sa juste valeur. Il n’en reste pas moins qu’Ovide dit
explicitement qu’on peut, grâce à une mention dans les Tristesses, accéder à l’immortalité.
Si
donc son épouse peut espérer accéder à l’immortalité grâce aux Tristesses, qui parlent d’elle, pourquoi
Ovide, qui les a écrites, ne le pourrait-il pas ?...
Cette promotion par la poésie ne
s’appliquera pas à ses amis, non que le principe cesse alors d’être efficace,
mais pour une raison plus terre à terre : Ovide s’abstient de les nommer.
En effet, s’il le faisait, le discrédit qui pèse sur lui les atteindrait par
ricochet, chose qu’il veut bien sûr éviter. Il privilégie donc leur
tranquillité dans le présent, au détriment de leur gloire dans l’avenir.
Qu’en sera-t-il pour l’empereur
lui-même ? Le fait qu’il soit mentionné par Ovide dans ses Tristesses lui fera-t-il acquérir
l’immortalité ? Eh bien non, tout simplement parce qu’Auguste l’a déjà
acquise par lui-même du fait de la gloire d’ont il s’est couvert. Ovide le
dit (II, 68) :
Mes vers n’ajoutent rien à ta gloire : pour
qu’elle augmente,
Il
manque un échelon qu’elle puisse gravir.
Le cas de l’empereur permettra
uniquement à Ovide d’adresser une flatterie à son bourreau, flatterie censée
faciliter son retour en grâce…
Ovide, on le sait, ne revint pas de
Tomes : la mort s’empara de lui en exil.
Il l’avait
parfois appelée pour qu’elle mît un terme à ses souffrances :
Dieux, qui vous révélez trop
invariablement hostiles,
Qui
faites vôtre la colère d’un seul dieu,
Hâtez, de grâce, un destin qui
s’attarde, et refusez
Que
les portes de mon trépas restent fermées.
Tristesses, III, 2,
27-30
Dans mes malheurs, je n’ai qu’un espoir
de consolation :
Que la mort mette vite un terme à tous mes maux.
Tristesses, IV, 6, 49-50
Mais
il ne suffit pas de l’appeler pour qu’elle vienne…
Naso
peut alors regretter qu’elle ne soit pas déjà venue :
Quand je vois ce pays, les
mœurs
Des habitants, leurs tenues, leur
jargon, et que je pense
A
qui je suis, à qui j’étais, j’ai tellement
Envie de mourir que j’en veux à César
en colère
De
ne pas venger ses offenses par l’épée.
Tristesses, III, 8,
36-40
La
mort vint en son temps, sans que l’on puisse dire si ce fut en 17 (comme on le
soutient le plus souvent) ou en 18 ap. J.-C.
Mais
rien ne prouve que ses cendres aient été rapatriées à Rome ; peut-être,
comme il le redoutait, son âme erre-t-elle encore aujourd’hui du côté de la
côte occidentale du Pont-Euxin, sur le rivage des Gètes :
Et puisse mon âme périr avec mon
corps : que rien
De
mon être n’échappe au bûcher dévorant ;
Car si l’âme, ignorant la mort, vole
dans les hauteurs
Du
ciel, si le vieillard de Samos a raison,
Mon ombre romaine errera par les ombres
sarmates,
Ombre
étrangère, au milieu de mânes sauvages.
Tristesses, III, 3,
59-64
A
supposer que tel soit le cas, il ne faut pourtant pas trop s’affliger :
les descendants roumains des Gètes éprouvent pour Ovide une grande admiration,
ce qui était d’ailleurs probablement le cas de leurs lointains ancêtres.
Beaucoup de Roumains ont pour prénom Ovidiu, la ville de Constanţa – qui se
nommait Tomes dans l’Antiquité –, a donné à son université le nom d’université
Ovidius, et sur la place de la vieille ville – la piaţa Ovidiu –, devant le
musée… archéologique se dresse fièrement la statue d’Ovide par Ettore Ferrari.
Elle porte sur sa base une inscription : il s’agit de l’épitaphe du poète.
En voici la traduction :
« Ci-gît Naso, baladin des tendres
amours, poète.
Son
génie l’a perdu mais, si tu as aimé,
Qui que tu sois, passant, n’hésite pas
à demander
Que
le repos soit doux aux cendres de Naso. »
Tristesses, III, 3, 73-76
Aussi vous proposerai-je de formuler
à votre tour ce dernier vœu : « Que le repos soit doux aux
cendres de Naso »...
[1] Contentons-nous de rappeler que deux
motifs justifiaient la relégation d’Ovide : le fait qu’il ait écrit l’Art d’aimer, poème jugé moralement condamnable,
et le fait qu’il ait profondément blessé l’empereur en assistant à une scène à laquelle
il n’aurait pas dû assister. Vingt siècles d’histoire littéraire n’ont pas permis
de déterminer de quelle scène il s’agit…
[2] De mi-novembre à début mars
(conception courte) ou de mi-septembre à fin mai (conception langue). Cf. P.
Pomey, L’art de la navigation dans
l’Antiquité, 94-95
(http://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1997_act_7_1_962).
[3] Il navigua de Brindes à
Cenchrées, sur le golfe Saronique, traversa l’isthme jusqu’à Corinthe, navigua
entre Corinthe et la Thrace, passa par voie terrestre du nord de la mer Egée au
sud-ouest de la mer Noire pour éviter les périls de la navigation par
l’Hellespont, la Propontide et le Bosphore ; il finit en bateau en
longeant la côte jusqu’à Tomes.
[4] Jacques André : « A
son débouché dans cette mer [l’Adriatique], son vaisseau est assailli par les
rafales de la Bora hivernale soufflant du N. E., qui le ramènent des côtes
illyriennes jusqu’en vue de l’Italie » (op. cit. XX).
[5] Ovide renouvelle
en Tristesses, III, 4b, 5 :
Au-delà,
il fait si froid qu’on ne peut y habiter.
[6] La jeune
Périlla, la protégée d’Ovide quand il était à Rome, n’y échappera pas non
plus (Tristesses,
III,
7, 33-38) :
A
la longue, les années gâteront ton beau visage,
Ton front vieilli aura la ride
des vieux jours.
La
vieillesse ravageuse avance à pas silencieux ;
Elle mettra la main sur ta
beauté. Tu te
Désoleras
lorsqu’on dira de toi : « Elle était belle »,
Et te plaindras que ton miroir
soit un menteur.
[7] Il le redit ailleurs encore, sur le mode
métaphorique : « Les blessures de
jadis semblent fraîches à mon cœur » (IV, 1, 97) et « Les plaies qui devaient se fermer à la longue, à leur
rythme,
Me
font souffrir comme feraient des plaies récentes » (Tristesses,
V, 2a, 9-10).
Si
mes livres, lecteur, ont des défauts – et ils en ont –,
Accorde-leur des circonstances
atténuantes.
L’exilé
que je suis cherche le repos, non la gloire,
Et un dérivatif aux malheurs qui
l’accablent.
C’est
aussi pourquoi l’esclave entravé chante en bêchant :
Quand il fredonne, il allège son
dur labeur ;
Celui
aussi qui hale un chaland à contre-courant
Chante en s’arc-boutant des
pieds dans le limon,
Et
celui qui ramène à lui sa rame lente et frappe
L’eau en cadence au rythme
constant de ses bras. 10
Fatigué,
le berger s’appuie sur son bâton, s’assied
Sur un rocher et charme ses
brebis de son
Flûtiau.
En cadence, elle chante et file, la fileuse,
Sa quenouillée, trompant sa
peine et l’oubliant.
On
dit qu’Achille, attristé d’avoir perdu Briséis,
Consola ses chagrins sur sa lyre
hémonienne.
Quand
Orphée déplaçait en chantant forêts et rochers,
Il déplorait son épouse deux
fois perdue.
La
Muse me soulage aussi, en chemin pour le Pont
Où je suis assigné, seule
co-exilée, 20
Seule
à ne craindre, au milieu des embûches, ni l’épée
D’un soldat, ni la mer, le vent,
la barbarie.
[9] Dans son ode III, 30 (Exegi monumentum aere perennius.
« J’ai achevé un monument plus durable que l’airain… »).
[10] L’œuvre que
voici, ni la colère de Jupiter,
Ni
le feu, le fer, le temps rongeur ne la détruiront.
Vienne,
quand il le voudra, le jour qui n’a prise que
Sur
mon corps, qu’il boucle le cours incertain de ma vie.
Le
meilleur de moi me fera m’élever, immortel,
Par-delà
les hauteurs des astres ; mon nom perdurera.
Là
où Rome étend son pouvoir, sur les terres soumises,
Je
serai sur toutes les lèvres ; par mon renom, toujours,
Si
le présage d’un poète dit vrai, je vivrai… (Métamorphoses, XV, 871-879)
Cette
épitaphe suffira, car j’ai un monument
Plus durable et plus
grand : il s’agit de mes livres ;
Et
je suis convaincu, bien qu’ils m’aient nui, qu’ils donneront
A leur auteur une éternelle
renommée.
[12]
Se rappeler qu’Ovide considère des les Amores
I, 15 que la poésie peut conférer la gloire, qqe soit le genre de poésie que
l’on pratique ; pourquoi pas la poésie élégiaque d’inspiration
autobiographique ?...
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