Mais au fait, qui est Myrrha, que j'ai cru reconnaître en cet arbre du Parc aux bambous ? Voici, en quelques épisodes, sa triste histoire...
On eût pu compter Cinyras
Parmi les gens heureux,
s’il fût resté sans descendance.
Pères, filles,
éloignez-vous : je vais chanter des horreurs ;
Ou, si mes vers ont du
charme pour votre esprit, ne vous
Fiez pas à ce que je
dis, ne croyez pas aux faits ;
Ou, si vous y croyez,
croyez aussi au châtiment.
Si, toutefois, la
nature autorise un tel forfait,
Heureux soit le mont
Ismarus, heureux aussi l’endroit
Du monde où nous vivons
de se trouver loin des régions
Qui ont vu s’accomplir
pareil crime. Quant à l’Arabie,
Qu’elle abonde en amome
et porte arbre à encens, costus,
Ciname et bien d’autres
fleurs pourvu qu’elle porte aussi
La myrrhe : on a trop
cher payé cette espèce nouvelle.
Cupidon lui-même nie
que ses flèches t’aient blessée,
Myrrha, que ton crime
puisse être imputé à ses torches.
Avec un brandon du Styx
et des serpents venimeux,
L’une des trois sœurs
te l’inspira. Haïr son père est
Criminel ; l’aimer
ainsi, pire encore. De toute part,
La fleur de la noblesse
te courtise et la jeunesse
D’Orient se dispute ton
lit. Tu ne manques pas
De choix, Myrrha, parmi
tant d’hommes : ne manque pas ton choix.
Bien consciente, elle
combat son ignoble passion.
« Où m’entraîne
mon esprit ? Qu’ai-je entrepris ? se dit-elle
Dieux, je vous en
supplie, droits sacrés des parents, piété
Filiale, écartez ce
sacrilège, empêchez mon crime,
S’il s’agit bien d’un
crime : on dit que la piété filiale
Ne condamne pas cette
union ; pour tous les animaux,
S’accoupler est licite :
nulle honte à ce qu’un taureau
Monte sa fille ou
qu’une pouliche épouse son père,
Le bouc saillit les
chèvres qu’il a engendrées, l’oiseau
Conçoit de la semence
de celui qui l’a conçu.
Heureux qui peut se le
permettre. L’homme s’est inquiété
D’édicter de méchantes
lois : ce qui est accordé
Par la nature est
défendu par des arrêts jaloux.
On dit pourtant qu’il
est des peuples où s’unissent fils
Et mère, fille et père
: amour et piété s’y renforcent.
Hélas ! Que ne suis-je
née là-bas ! Etre née ici
Est un malheur accablant.
Mais à quoi bon ressasser ?
Fuyez espoirs interdits
! S’il est digne d’être aimé,
C’est comme un père.
Si, donc, je n’étais pas la fille du
Grand Cinyras, avec
Cinyras je pourrais m’unir.
Etant déjà mon père, il
ne peut être mien ; ce lien
Me perd : j’atteindrais
mieux mes fins si j’étais étrangère.
Je voudrais m’éloigner,
quitter le sol de ma patrie
Pour éviter un crime ;
mon funeste amour me retient.
Demeurons pour voir
Cinyras, le toucher, lui parler,
L’embrasser, puisqu’il
ne m’est pas permis d’aller plus loin.
Aller plus loin... Que
peux-tu donc espérer, fille impie ?
Tous ces droits que tu
confonds, tous ces noms... T’en rends-tu compte ?
Etre rivale d’une mère,
et maîtresse d’un père !
Etre appelée sœur de
son fils, et mère de son frère !
Ne crains-tu donc pas
les sœurs aux cheveux de noirs serpents ?
Les criminels les
voient pousser rageusement leur torche
Vers leurs yeux, vers
leur visage. Mais toi dont le corps est pur,
Garde pur ton
esprit ; ne souille pas par un inceste
Le pacte qui nous lie
avec la puissante nature.
Le voudrais-tu que tu ne
le pourrais : c’est un bon père,
Il est de bonnes mœurs.
Que n’est-il aussi fou que moi ! »
D'après Ovide, Métamorphoses, X, 298-355.
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