Myrrha récidive la nuit d’après et les suivantes.
Cinyras, enfin, après tant d’étreintes, veut
savoir
Qui l’aime. A la lumière d’un flambeau, il voit
son crime,
Et il voit son enfant. Muet de douleur, il dégaine
Une éclatante épée, qui pendait là, de son
fourreau.
Myrrha s’enfuit. A la faveur d’une nuit
ténébreuse,
Elle échappe à la mort. Longtemps elle erre à
travers champs
Puis elle quitte l’Arabie riche en palmiers, le
sol
De Panchaïe. Son errance dura neuf lunaisons ;
Elle se reposa enfin au pays de Saba,
Epuisée, peinant à porter son ventre lourd. Alors,
Ne sachant que souhaiter, craignant la mort,
dégoûtée de
La vie, elle pria : « Dieux ! – si l’un
de vous entend mes
Aveux – j’ai mérité un châtiment terrible, j’en
Conviens. Mais je ne veux souiller ni les morts en
mourant,
Ni les vivants en survivant : chassez-moi donc des
deux
Royaumes ; ne m’accordez ni vie ni
mort : transformez-moi. »
L’un d’eux entendit ses aveux. Ses vœux furent
comblés,
Du moins les derniers, par les dieux. Tandis
qu’elle parlait,
La terre a recouvert ses jambes ; des racines
fourchues
Cassent ses ongles en poussant ; de là, un tronc
s’élance.
Ses os deviennent bois, au cœur duquel reste la
moelle ;
Son sang se fait sève, ses bras branchages et ses
doigts
Petits rameaux ; sa peau durcit, se transforme en
écorce.
Déjà l’arbre, en croissant, appuyait sur son
ventre lourd,
Ecrasait sa poitrine et allait recouvrir son cou.
N’en pouvant plus d’attendre, elle s’affaisse à la
rencontre
Du bois qui monte, et plonge son visage dans
l’écorce.
Bien qu’elle perde, avec son corps, sa
sensibilité,
Elle pleure pourtant : l’arbre répand de tièdes
gouttes.
On tient en honneur ces larmes. La myrrhe suintant
du bois
Tire d’elle son nom, qui traversera tous les
siècles.
L’enfant incestueux s’était développé dans l’arbre
Et cherchait une voie par où s’extirper et quitter
Sa mère. Au cœur du bois, le ventre pesant est
gonflé,
Est tendu par sa charge. Mais comment dire les douleurs
De l’enfantement, de quelle voix invoquer Lucine ?
L’arbre, pourtant, semble forcer, se courbe,
pousse des
Gémissements fréquents, se mouille des larmes
qu’il verse.
La douce Lucine, debout près des rameaux
plaintifs,
Tend les mains en prononçant les mots de la
délivrance.
L’écorce se fissure et, par la fente, l’arbre rend
Son vivant fardeau. L’enfant vagit ; il est déposé
Dans l’herbe tendre et parfumé des larmes de sa
mère
Par les Naïades. Même l’Envie trouverait qu’il est
beau :
Il ressemble aux Amours qu’on représente nus sur
les
Tableaux, à un ornement près : il faudrait enlever
A ceux-ci leur léger carquois, ou lui en donner
un.
D'après Ovide, Métamorphoses, X, 471-518.
© Jean-Luc Ramond