Il était une source claire et pure, aux eaux d’argent ;
Ni les bergers, ni
les chèvres paissant sur les monts
Ne l’avaient
souillée, ni d’autres troupeaux ; pas un oiseau,
Pas une bête ne
l’avait troublée, pas un rameau
Tombé de l’arbre. Son
eau nourrissait l’herbe sur ses bords,
La forêt empêchait le
soleil d’attiédir l’endroit.
L’enfant, épuisé par
la chasse et la chaleur, s’y vient
Abattre : il cède à
l’attrait de l’endroit et de la source.
Tandis qu’il veut
calmer sa soif, une autre soif le prend ;
Tandis qu’il boit, il
voit un beau reflet qui le ravit,
Qu’il aime — reflet
sans consistance : il prend une ombre pour
Un corps. Il en est
stupéfait, son visage se fige
Et, comme un marbre
de Paros, il reste sans bouger.
Etendu là, il
contemple deux astres — ses deux yeux —,
Ses cheveux dignes de
Bacchus et même d’Apollon,
Ses joues imberbes,
son cou d’ivoire, la grâce de sa bouche,
Il contemple ce teint
de neige qu’une rougeur colore,
Et tout ce qui en lui
se peut admirer, il l’admire.
Sans le savoir, il se
désire ; il plaît à qui lui plaît,
Qui recherche est
recherché, qui enflamme est enflammé.
Que de baisers
reçoit, pour rien, cette source trompeuse,
Que de fois il plonge
ses bras dans l’eau pour tenter de
Se saisir du cou
qu’il voit sans parvenir à s’atteindre.
Que voit-il ? Il ne
le sait ; mais ce qu’il voit le consume,
Et ce qui trompe ses
regards est ce qui les embrase.
Pourquoi, naïf
enfant, chercher en vain ce double qui
Te fuit ? Ce que tu
veux n’est nulle part ; ce que tu aimes,
Tourne-toi, tu le
perdras ; c’est une ombre que tu vois,
Un reflet sans
consistance ; avec toi, il va, il reste ;
Repars, il repartira — si tu pouvais
repartir.
Ni le besoin de manger, ni le besoin
de dormir
Ne peut l’arracher de là ; allongé
dans l’herbe épaisse,
Il regarde insatiablement une
mensongère
Beauté ; ses propres yeux causent sa
perte ; il se soulève
Un peu et dit, tendant les bras aux
forêts qui l’entourent :
« Quelqu’un a-t-il, forêts,
plus durement souffert d’aimer ?
Vous le savez bien, abris opportuns
de tant d’amants.
Vous qui vivez bien des siècles,
avez-vous le souvenir,
En tout ce temps, de quelqu’un qui
dépérit comme moi ?
Etre charmé, voir qui me charme et
ne pouvoir saisir
Qui je vois, qui me charme, tant mon
amour est abusé...
Pour combler ma douleur, aucune
immense mer ne nous
Sépare, aucun chemin, aucun sommet,
aucun rempart
Bien clos ; juste un peu d’eau.
Lui-même souhaite cette étreinte,
Car chaque fois que j’ai tendu mes
lèvres vers l’eau claire,
Il a chaque fois essayé de
rapprocher sa bouche.
Je croyais le toucher : l’obstacle
entre nous est bien mince.
Qui que tu sois, viens ; pourquoi
m’abuser, enfant unique ?
Où pars-tu quand je veux t’atteindre
? Ni mon air, ni mon âge
Ne te font fuir, c’est sûr : même
les nymphes m’ont aimé.
Que ne me fait pas espérer ce visage
amical ?
Quand je tends les bras vers toi, tu
tends les tiens de toi-même ;
Quand je souris, tu souris. Souvent,
je t’ai vu pleurer
Quand je pleurais ; d’un signe tu
réponds à mes appels
Et si je lis bien les mouvements de
ta jolie bouche,
Tu me renvoies des mots, qui
n’atteignent pas mes oreilles.
Je suis qui tu es ; je l’ai compris
: mon reflet ne me
Trompe plus. C’est moi que j’aime,
moi qui brûle et enflamme.
Que faire ? Attendre ? Entreprendre
? Et, désormais, qu’entreprendre ?
Ce que je désire est en moi ; mon
trésor me rend pauvre.
Si seulement je pouvais me séparer
de mon corps.
Quel vœu pour un amant : que ce que
j’aime soit loin de moi !
La douleur maintenant m’ôte mes
forces ; je n’en ai plus
Pour très longtemps à vivre et je
m’éteins en mon jeune âge.
Mais mourir ne me pèse pas : j’y
perdrai ma douleur ;
Celui que j’aime, j’aurais voulu
qu’il vécût davantage.
Nos deux cœurs, en mourant,
exhaleront un même souffle. »
Il se tut. Dans son délire, il
revint voir ce visage ;
Ses larmes troublèrent les eaux :
leur surface agitée
Renvoya une image instable. La
voyant disparaître :
« Où fuis-tu, s’écria-t-il ;
reste, n’abandonne pas,
Cruel, celui qui t’aime. Ce que je
ne peux pas toucher,
Que je puisse le voir et nourrir ma
pauvre folie. »
Tout en se plaignant, il arracha son
vêtement par
Le haut et frappa sa poitrine nue de
ses mains blanches.
Sa poitrine frappée prit une
carnation de rose,
Comme le font les fruits, qui sont
blancs d’un côté, rouges
De l’autre ; comme fait le raisin
avant qu’il ne soit mûr :
Ses grappes aux grains verts
prennent la couleur de la pourpre.
Quand l’eau fut redevenue lisse, il
ne supporta pas
Davantage ce qu’il y vit : tout
comme un feu léger
Fait fondre la cire dorée, comme un
tiède soleil
Le givre matinal, ainsi, consumé par
l’amour,
Il dépérit et brûle peu à peu d’un
feu secret.
Cette blancheur, mêlée de vermillon,
a disparu,
Ces forces, cette vigueur, tout ce
qui plaisait naguère ;
Ce corps n’est plus le corps
qu’avait jadis aimé Echo.
Quand celle-ci le vit, malgré tout
son ressentiment,
Elle eut de la peine, et chaque fois
que le pauvre enfant
Disait « Hélas ! », elle
lui répondait par un « Hélas ! »,
Et lorsque celui-ci se frappait les
bras de ses mains,
Elle aussi renvoyait un bruit
semblable au bruit des coups.
Les yeux fixés, comme toujours, sur
l’eau, il prononça
Ses derniers mots : « Hélas !
enfant, je t’ai aimé en vain. »
Le lieu les renvoie tous. Il dit
« Adieu ». « Adieu », répète
Echo. Sa tête épuisée s’abat sur le
vert gazon.
La mort ferma ses yeux, qui
admiraient la beauté de
Leur maître. Et même une fois qu’il
fut entré aux Enfers,
Il se mirait dans l’eau du Styx. Les
naïades, ses sœurs,
Le pleurèrent et offrirent leur
chevelure à leur frère.
Les dryades le pleurèrent ; Echo
redoubla leurs pleurs.
On préparait déjà torches, bûcher et
lit funèbre ;
Mais le corps avait disparu. A sa
place, on trouva
Une fleur au cœur safran entourée de blancs pétales.
D'après Ovide, Métamorphoses, III, 407-510
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