Aujourd'hui, intéressons-nous à deux grands noms de la photographie française, Pierre et Gilles, étant entendu que des deux, Pierre est le seul qui fasse des photos : Gilles est peintre et les met en couleur, comme à la grande époque où l'on colorisait le N&B...
Deux de leurs oeuvres sont présentées au MSR. La première nous plonge en pleine guerre de Troie ; elle s'intitule La colère d'Achille.
Photographie imprimée par jet d'encre et peinte
2011
Prêt des artistes
Pour sûr, Achille (Staiv Gentis) a l'air en colère... Mais il y a de quoi, aussi ! Agamemnon vient de lui prendre la jeune Briséis, une captive qui faisait partie de son butin et dont le héros était amoureux. Aussi le meilleur des combattants grecs, en l'absence de qui son camp ne peut l'emporter, se retire-t-il sous sa tente.
Achille a une deuxième bonne raison d'être en colère : Patrocle, son ami, lui a aussi été ravi - décidément... - mais sans restitution possible cette fois : c'est la mort qui s'est emparée de lui... Car Patrocle avait revêtu les armes d'Achille pour tromper les Troyens en leur faisant croire que le héros était retourné au combat. Patrocle est tué par Hector, et c'est pour venger son ami défunt qu'Achille reprend ici les armes...
Comment, allez-vous dire ! Les combattants de l'Iliade étaient si peu protégés et offraient leur chair tendre aux armes de l'adversaire ?...
Non... Les héros de l'Iliade se protégeaient au combat mais étaient figurés nus sur les vases où les peintres les représentaient. C'est ce qu'on appelle la nudité héroïque...
La deuxième oeuvre exposée au MSR est un magnifique Narcisse (Matthieu Charneau dans le rôle-titre). Jugez plutôt...
Narcisse
Photographie imprimée par jet d'encre sur toile et peinte
2012
Prêt de la galerie Templon, Paris-Bruxelles
C'est trop beau ! Et je ne résiste pas à la tentation de vous livrer ma traduction des quelques vers qui vont avec (Métamorphoses, III, 407-436)...
Bonne lecture !
Il était une source claire et pure, aux eaux d’argent ;
Ni les bergers, ni
les chèvres paissant sur les monts
Ne l’avaient
souillée, ni d’autres troupeaux ; pas un oiseau,
Pas une bête ne
l’avait troublée, pas un rameau
Tombé de l’arbre. Son
eau nourrissait l’herbe sur ses bords,
La forêt empêchait le
soleil d’attiédir l’endroit.
L’enfant, épuisé par
la chasse et la chaleur, s’y vient
Abattre : il cède à
l’attrait de l’endroit et de la source.
Tandis qu’il veut
calmer sa soif, une autre soif le prend ;
Tandis qu’il boit, il
voit un beau reflet qui le ravit,
Qu’il aime — reflet
sans consistance : il prend une ombre pour
Un corps. Il en est
stupéfait, son visage se fige
Et, comme un marbre
de Paros, il reste sans bouger.
Etendu là, il
contemple deux astres — ses deux yeux —,
Ses cheveux dignes de
Bacchus et même d’Apollon,
Ses joues imberbes,
son cou d’ivoire, la grâce de sa bouche,
Il contemple ce teint
de neige qu’une rougeur colore,
Et tout ce qui en lui
se peut admirer, il l’admire.
Sans le savoir, il se
désire ; il plaît à qui lui plaît,
Qui recherche est
recherché, qui enflamme est enflammé.
Que de baisers
reçoit, pour rien, cette source trompeuse,
Que de fois il plonge
ses bras dans l’eau pour tenter de
Se saisir du cou
qu’il voit sans parvenir à s’atteindre.
Que voit-il ? Il ne
le sait ; mais ce qu’il voit le consume,
Et ce qui trompe ses
regards est ce qui les embrase.
Pourquoi, naïf
enfant, chercher en vain ce double qui
Te fuit ? Ce que tu
veux n’est nulle part ; ce que tu aimes,
Tourne-toi, tu le
perdras ; c’est une ombre que tu vois,
Un reflet sans
consistance ; avec toi, il va, il reste ;
Repars, il repartira — si tu pouvais repartir...
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