samedi 9 mars 2019

Age of classics (III) !

Parlons donc photographie, comme promis !
Aujourd'hui, intéressons-nous à deux grands noms de la photographie française, Pierre et Gilles, étant entendu que des deux, Pierre est le seul qui fasse des photos : Gilles est peintre et les met en couleur, comme à la grande époque où l'on colorisait le N&B...

Deux de leurs oeuvres sont présentées au MSR. La première nous plonge en pleine guerre de Troie ; elle s'intitule La colère d'Achille.

Photographie imprimée par jet d'encre et peinte
2011
Prêt des artistes

Pour sûr, Achille (Staiv Gentis) a l'air en colère... Mais il y a de quoi, aussi ! Agamemnon vient de lui prendre la jeune Briséis, une captive qui faisait partie de son butin et dont le héros était amoureux. Aussi le meilleur des combattants grecs, en l'absence de qui son camp ne peut l'emporter, se retire-t-il sous sa tente.
Achille a une deuxième bonne raison d'être en colère : Patrocle, son ami, lui a aussi été ravi - décidément... - mais sans restitution possible cette fois : c'est la mort qui s'est emparée de lui... Car Patrocle avait revêtu les armes d'Achille pour tromper les Troyens en leur faisant croire que le héros était retourné au combat. Patrocle est tué par Hector, et c'est pour venger son ami défunt qu'Achille reprend ici les armes...
Comment, allez-vous dire ! Les combattants de l'Iliade étaient si peu protégés et offraient leur chair tendre aux armes de l'adversaire ?...
Non... Les héros de l'Iliade se protégeaient au combat mais étaient figurés nus sur les vases où les peintres les représentaient. C'est ce qu'on appelle la nudité héroïque...

La deuxième oeuvre exposée au MSR est un magnifique Narcisse (Matthieu Charneau dans le rôle-titre). Jugez plutôt...

Narcisse
Photographie imprimée par jet d'encre sur toile et peinte
2012
Prêt de la galerie Templon, Paris-Bruxelles

C'est trop beau ! Et je ne résiste pas à la tentation de vous livrer ma traduction des quelques vers qui vont avec (Métamorphoses, III, 407-436)...
Bonne lecture !

            Il était une source claire et pure, aux eaux d’argent ;
            Ni les bergers, ni les chèvres paissant sur les monts
            Ne l’avaient souillée, ni d’autres troupeaux ; pas un oiseau,
            Pas une bête ne l’avait troublée, pas un rameau
            Tombé de l’arbre. Son eau nourrissait l’herbe sur ses bords,
            La forêt empêchait le soleil d’attiédir l’endroit.
            L’enfant, épuisé par la chasse et la chaleur, s’y vient
            Abattre : il cède à l’attrait de l’endroit et de la source.
            Tandis qu’il veut calmer sa soif, une autre soif le prend ;
            Tandis qu’il boit, il voit un beau reflet qui le ravit,
            Qu’il aime — reflet sans consistance : il prend une ombre pour
            Un corps. Il en est stupéfait, son visage se fige
            Et, comme un marbre de Paros, il reste sans bouger.
            Etendu là, il contemple deux astres — ses deux yeux —,
            Ses cheveux dignes de Bacchus et même d’Apollon,
            Ses joues imberbes, son cou d’ivoire, la grâce de sa bouche,
            Il contemple ce teint de neige qu’une rougeur colore,
            Et tout ce qui en lui se peut admirer, il l’admire.
            Sans le savoir, il se désire ; il plaît à qui lui plaît,
            Qui recherche est recherché, qui enflamme est enflammé.
            Que de baisers reçoit, pour rien, cette source trompeuse,
            Que de fois il plonge ses bras dans l’eau pour tenter de
            Se saisir du cou qu’il voit sans parvenir à s’atteindre.
            Que voit-il ? Il ne le sait ; mais ce qu’il voit le consume,
            Et ce qui trompe ses regards est ce qui les embrase.
            Pourquoi, naïf enfant, chercher en vain ce double qui
            Te fuit ? Ce que tu veux n’est nulle part ; ce que tu aimes,
            Tourne-toi, tu le perdras ; c’est une ombre que tu vois,
            Un reflet sans consistance ; avec toi, il va, il reste ;
            Repars, il repartira — si tu pouvais repartir...
           

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