Si vous voulez en lire les bonnes pages, procurez-vous le n°7 de la revue Gibraltar
(http://www.gibraltar-revue.com/?post_type=product) ou, mieux encore, retrouvons-nous le jeudi 29 novembre (demain...) à l'Instituto Cervantes, 31 rue des Chalets, Toulouse, à 18h30, pour le lancement du n° 7...
Mais j'ai perçu votre curiosité, votre impatience, et je les comprends...
Je vous livre donc, en avant-première, le texte de la page initiale de cet émouvant journal, rédigée par Naso le jour même de son départ d'Italie...
Bonne lecture...
XIIe jour avant les calendes de janvier
C’est fait…
Mon bateau a largué les amarres ce
matin, et me voici en route pour le pays des Gètes… Des Besses… Des Sarmates…
Des Scythes… Je ne sais comment les appeler…
Appelle-les donc
« barbares », mon pauvre Naso ! C’est encore le nom qui leur va
le mieux. « Bar, bar, bar… » ! Trois borborygmes pour tout
vocabulaire. Et sûrement personne pour comprendre le latin…
En m’exilant au fin bout de son
empire, Auguste a vraiment visé juste. Il aurait pu me condamner à mort ; mais il
craignait peut-être de faire un accroc à sa réputation de plus clément des
princes que la terre ait portés.
Non… Il craignait plutôt de me
réserver un traitement de faveur en mettant fin une bonne fois pour toutes à
mes souffrances. Et il préfère de beaucoup me voir expier ma faute jusqu’à mon
dernier jour…
Me voici donc condamné à vivre sans
ma Fabia chérie, sans mes amis, sans tous ceux qui fréquentaient ma maison et
applaudissaient à la lecture de mes vers… Sans mes jardins du pont Milvius, où
j’allais si volontiers écrire à l’écart de la foule…
Tu m’as condamné, Auguste, à mourir
à petit feu, avec plus de cruauté que le tyran d’Agrigente. Une fois qu’il
avait enfermé ses victimes dans le taureau de bronze, il allumait le feu et, peu
après, leurs gémissements cessaient. Combien de temps devrai-je gémir ?...
Notre navire a fait escale pour la
nuit dans un mouillage sûr après une horrible journée de mer. Nous avons été
pris par une tempête comme je n’en avais jamais connu – si Macer était là,
il dirait sans doute que je n’en ai effectivement jamais connu. Comme tu me
manques déjà, Macer… Des vagues énormes se brisaient sur le pont, menaçant
d’emporter les marins à la manœuvre, et les creux étaient si profonds que
j’avais l’impression de descendre aux Enfers. Si j’ouvrais la bouche pour prier
– on devient pieux en pareil cas – un paquet de mer me faisait ravaler mes
mots. Comme si les dieux s’étaient ligués avec Auguste et ne voulaient pas même
de mes prières. Sans doute auraient-ils préféré
que je leur brûle de l’encens – et moi aussi, d’ailleurs…
Qui plus est, alors que nous devions
faire voile vers la Grèce, un vent contraire nous ramena vers l’Italie, où je
n’ai plus le droit de poser le pied. Un devin verrait peut-être là le signe
indubitable que je finirai par rentrer chez moi, que mon exil ne sera pas sans
retour. J’y ai plutôt trouvé une occasion de déplorer le triste sort des
mortels, ballotés entre la volonté d’un prince et la volonté des dieux…
En désespoir de cause, je suis allé
chercher une tablette et un style, et je me suis mis à écrire. Comme si les
voiles de mon inspiration avaient été gonflées par la tempête, je ne pouvais retenir
mon besoin de faire des vers et de confier mes prières à la cire. Je ne sais ce
que vaut mon poème – et il ne vaut certainement pas grand-chose –, mais je peux
certifier que lorsque je refermais ma tablette, la tempête se calmait…
Ô, dieux !... Si mes vers ont
le pouvoir de vous fléchir, peut-être ne dois-je pas totalement désespérer…